VEILLE JURIDIQUE STREAMING : JUILLET 2015

VEILLE JURIDIQUE STREAMING : JUILLET 2015

  1.      Législation  
  • Avant-projet de la loi Internet et Création (France)
Les travaux de Mme Mireille Imbert Quaretta, présidente actuelle de la Hadopi ont largement été repris dans l’avant-projet de loi « Internet et Création », qui doit être examiné par la Commission Culture au mois de juillet et qui propose une réforme de ladite autorité. Si l’avant-projet tel que rédigé venait à être adopté, l’Hadopi hériterait de nouvelles missions et d’un arsenal pénal important. Concernant ses missions, l’Hadopi devra veiller « à ce que la mise en œuvre des mesures techniques de protection n’ait pour effet d’entraver la libre reproduction ou la libre représentation d’une œuvre ou d’un objet » tombé dans le domaine public. Une association de consommateurs agréée au niveau national aurait alors la capacité juridique de la saisir de tous les bugs relatifs à l’interopérabilité des mesures techniques. Par contre, cet avant-projet dépossède la Hadopi de sa mission «d’encouragement au développement de l’offre légale » en supprimant le label PUR (ou son remplaçant, le Label Offre Légale), mais également la politique d’open data menée avec les six plateformes de vidéos en ligne. Concernant le versant pénal, des agents assermentés de la Hadopi continueront d’observer l’utilisation licite et illicite d’œuvres et d’objets protégés par un droit de propriété intellectuelle sur internet et devront identifier et étudier les modalités permettant l’usage illicite desdites œuvres et objets. Corrélativement, la Hadopi aura la capacité d’identifier les sites manifestement illicites afin d’établir une liste noire, revue périodiquement et rendue publique sur son propre site. Cette publicité permettrait selon Mme Imbert Quaretta d’actionner automatiquement la responsabilité des autres acteurs. Autre mesure phare de l’avant-projet, la Hadopi aura le pouvoir d’obtenir les informations ou documents détenus par d’autres personnes publiques, de manière « proportionnelle » à leurs missions, incluant les données techniques conservées et traitées par tous les FAI et opérateurs, ainsi que la communication de l’ensemble des notifications adressées aux hébergeurs par les ayants droit. Les agents peuvent également accéder aux sites considérés comme illicites afin d’y télécharger une œuvre afin de constituer un faisceau de preuves sans craindre de représailles pénales. Enfin, la saisine de la Hadopi serait élargie aux ayants droit sur simple acte d’huissier, au procureur sur « la base d’informations remontant à plus de six mois », dès lors qu’un hébergeur n’a pas retiré promptement un fichier dénoncé par un ayant-droit, ou bien parce qu’un fichier réapparait sur leurs serveurs dans les deux mois d’un retrait sur un site (lien).  
  • Loi Macron et économie numérique (France)
Si le 10 juin dernier, les députés ont bien suivi le ministre de l’économie en votant la suppression de l’amendement qui envisageait d’armer l’ARCEP pour contraindre tout moteur ayant « un effet structurant sur le fonctionnement de l’économie numérique » (comme Google) à une série de règles, ils ont adopté le même jour, contre l’avis du gouvernement cette fois, une autre disposition déposée par les rapporteurs du texte. Essentiellement en matière de droit de la consommation, elle compte imposer à tous les intermédiaires qui mettent en relation des personnes, à « délivrer une information loyale, claire et transparente sur les conditions générales d’utilisation du service d’intermédiation, et sur les modalités de référencement, de classement et de déréférencement des offres mises en ligne ». Des obligations similaires sont programmées pour les marketplaces. Tous ces acteurs devront en outre prévoir un espace sur leur site où seront communiquées aux consommateurs les informations précontractuelles aux prestations et ventes de biens proposés (voir l’amendement insérant un nouvel article L.111-5 dans le code de la consommation). Cet amendement est controversé par les députés comme par les acteurs de l’internet (comme la Fevad) : un projet de loi sur le numérique est annoncé pour la rentrée 2015 et cet amendement semble précipité (lien).  
  • Loi Numérique : le rapport « Ambition Numérique » du Conseil National du Numérique (CNNum) (France)
Le rapport du CNNum, remis le 17 juin 2015 au premier ministre, énumère 70 propositions concernant tant les nouveaux modèles de croissance que les enjeux de loyauté et de liberté sur Internet ou les transformations de l’action publique, réparties en quatre volets. A noter, les recommandations de la partie « Loyauté des plateformes » : « 6. Consacrer le principe de loyauté des plateformes
  • Soumettre les plateformes à un principe général de loyauté
7. Fournir la bonne information, au bon moment
  • Obligation d’édicter des CGU lisibles et non ambigües
  • Assurer l’information au bon moment » (lien).
  2.      Liberté d’expression et numérique  
  • Première condamnation pénale d’une entreprise de presse pour incitation au piratage (France).
Le Tribunal correctionnel de Nanterre a condamné Les Editions de Montreuil, sur le fondement du délit prévu à l’article L 335-2-1 2° du Code de la Propriété Intellectuelle (inciter sciemment à l’usage d’un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d’œuvres ou d’objets protégés), au paiement d’une amende de 10 000 euros et à la peine complémentaire de publication à ses frais de la décision dans Le Parisien et Le Journal du dimanche dans la limite de 3 000 euros pour chaque publication. L’entreprise de presse avait publié un magazine intitulé « Téléchargement » exposant de manière explicite et documentée les différentes façons de pirater sur internet (lien).  
  • Retrait immédiat des contenus et responsabilité de l’hébergeur : un arrêt de la CEDH controversé (UE)
En 2006, la société estonienne Delfi AS, propriétaire d’un des principaux portails d’information estonien a été mise en cause en raison de messages insultants postés par certains lecteurs de ce site sous un article publié concernant une société de ferries. Le principal actionnaire de cette société, cible des commentaires insultants, avait alors engagé des poursuites contre Delfi AS pour préjudice moral et obtenu gain de cause par un jugement estonien de juin 2008, les messages litigieux ayant été considérés comme diffamatoires et de nature à engager la responsabilité de Delfi AS condamnée à payer 320 € de dommages-intérêts. Delfi AS a introduit un recours devant la Cour suprême d’Estonie, qui ayant considéré que la société contrôlait la publication des messages apparaissant sur son site, a rejeté. Delfi AS, soutenant notamment la thèse selon laquelle ses activités relevaient de la qualification d’intermédiaire technique au sens du droit européen, a finalement porté l’affaire devant la Cour Européenne des droits de l’homme. Celle-ci a conclu à la non-violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention européenne le 10 octobre 2013. Pour la CEDH, la mise en jeu de la responsabilité de Delfi AS était en une restriction justifiée et proportionnée à la liberté d’expression de celle-ci en raison du caractère extrêmement insultant des messages incriminés, du manquement de Delfi AS à empêcher leur divulgation, du profit tiré par cette société des messages en question, de la garantie d’anonymat octroyée aux auteurs des messages en question et du caractère raisonnable de la condamnation infligée par les tribunaux estoniens. Saisie, la Grande Chambre de la CEDH a, par son arrêt du 16 juin 2015, clôt définitivement l’affaire en confirmant l’arrêt du 10 octobre 2013 (lien).   3.      Sites illicites  
  • L’administrateur de Wawa-Mania condamné à un an de prison ferme, 20 000€ d’amende et 15 millions d’euros de dommages-intérêts (France)
Le forum créé en 2007 par M. Mader, financé par des recettes publicitaires ainsi que par des versements de soutien d’internautes, comptait en 2009 plus de 3600 œuvres cinématographiques contrefaites. L’existence de ce « warez » a été découverte en 2009 par la Brigade d’enquêtes sur les fraudes aux technologies de l’information (Befti) qui faisait une recherche sur la distribution de fichiers contrefaisants. L’affaire a été portée devant le tribunal correctionnel de Paris qui a jugé le prévenu coupable de : –          de contrefaçon en hébergeant sur le forum dont il était responsable des liens vers des sites où étaient stockées les copies illicites de films, de musiques et de logiciels (l’arrêt du 21 octobre 2014 de la Cour de justice de l’UE ne s’appliquait pas à cette affaire car les liens litigieux renvoyaient à des œuvres déjà téléchargées en fraude des titulaires de droits) ; –          de fourniture de moyens pour contourner des mesures de protection d’un programme contre la copie illicite ; –          de travail dissimulé (vente d’espaces publicitaires, activité de prestation de service, et actes de commerce sans inscription au registre du commerce ou des métiers et sans avoir payé de charges sociales). Il a donc été condamné le 2 avril 2015 à un an de prison ferme et 20 000 € d’amende au pénal (lien), et le 2 juillet 2015 sur le volet civil à 15 millions d’euros de dommages et intérêts (lien).  
  • Un lien vers un site illégal est-il lui aussi illégal ? Question préjudicielle. (UE)
En octobre 2011, le site Geenstijl.nl faisait l’écho d’un lien vers FileFactory, hébergeur australien de fichiers, renvoyant vers une série de 11 photos de la présentatrice Britt Dekker publiée par Playboy. Sanoma, éditeur de Playboy en Hollande, notifie le site Geenstijl afin de faire supprimer tous ces liens de sa plateforme. Face au refus médiatisé de Geenstijl l’affaire devient judiciaire et Sanoma invoque une violation des droits d’auteur via ces hyperliens. Le 4 avril 2015, devant la Cour Suprême des Pays-Bas, la question prend un tournant européen : les juges se demandent si finalement ces multiples liens relèvent bien d’une « communication au public ». Six questions ont donc été posées à la CJUE, qui devra tenter d’apporter des solutions en harmonie avec le droit européen, la principale étant : « Est-ce que le fait pour une personne, autre que le titulaire de droits, de mettre un lien vers un site diffusant un contenu de ce titulaire, sans son autorisation et accessible à l’ensemble des internautes, est ou non une communication au public ? » (lien).  
  • Premières condamnations de Rojadirecta (Espagne et France)
Poursuivie par la Ligue Professionnelle de Football, la société espagnole Puerto 80, détentrice du site rojadirecta.me, a été pour la première fois condamnée le 19 mars 2015 par le tribunal de grande instance de Paris à retirer tous les liens permettant de voir des matchs des ligues de football françaises, sous astreinte de 5000€ par jour de retard et par lien (lien). Le 22 juin 2015, le tribunal de commerce madrilène a enjoint le site de supprimer tout accès à des liens en streaming live illégaux sous peine de voir le site géobloqué par les FAI espagnols, en raison de la mise à disposition de liens dirigeant vers du contenu illégal. Or Puerto 80 ne compte pas en rester là, certaine de la légalité de sa plateforme, et compte faire appel de la décision. Or à ce jour, la décision n’a toujours pas été frappée d’appel. (lien)   4.      Popcorn Time  
  • Le référencement de Popcorn time sur Google ne plaît pas aux ayants-droit
Le logiciel Popcorn Time connu comme le « Netflix des pirates » a maintenant pris la première place des résultats de recherche sur Google, une position qui était jusqu’à présent détenue par le snack populaire du cinéma, le popcorn. Les résultats peuvent varier selon l’endroit, mais l’application pirate a bien pris la première place aux États-Unis, Royaume-Uni et les Pays-Bas… (lien).  
  • Popcorn Time serait à l’origine d’un regain de piratage (Norvège)
Selon un rapport de Médiavision, environs 750 000 Norvégiens (sur 5 millions) consommeraient du streaming illégal en ligne, et ce chiffre aurait doublé l’année passée. Les autorités norvégiennes ont annoncé qu’elles allaient collecter les adresses IP des utilisateurs de Popcorn Time et envisagent d’introduire des actions judiciaires à leur encontre… (lien)  
  • Popcorn Time sous le coup d’une mesure de blocage (Royaume-Uni)
Pour mémoire, le 28 avril 2015, la « High Court » de Londres a enjoint aux cinq principaux FAI anglais de bloquer l’accès au logiciel. Selon la juridiction anglaise «il est manifeste que l’application Popcorn Time est utilisée pour regarder du contenu illégal et on ne peut pas envisager que Popcorn Time soit utilisé à des fins légales. De ce fait, l’existence même de Popcorn Time enfreint les lois sur les droits d’auteur » (lien).   5.      En bref  
  • La Hadopi, débiteur des FAI (France)
La Hadopi est mise en cause dans deux procédures intentées par Bouygues Telecom d’une part et Free d’autre part : les deux FAI réclament l’indemnisation, qui s’élèverait à plus d’un million d’euros, de leur rôle d’auxiliaire pénal prévue par la loi de 2009. Depuis octobre 2010, les fournisseurs d’accès sont tenus d’identifier les adresses IP que leur adresse la Hadopi, en contrepartie, d’une indemnisation. Seulement, les FAI n’ont toujours pas été indemnisés, la loi de 2009 reléguant à un décret le soin de définir ces modalités de compensation. La question est maintenant de savoir quand sera publié ce décret (lien).  
  • Possible remise en question de l’anonymat à l’ICANN
L’ICANN a soumis une proposition aux commentaires publics du 23 juin au 07 juillet 2015 : revenir sur le fonctionnement du système d’enregistrement anonyme des registrars en ouvrant à tous les données WHOIS des sites à but commercial. Le but serait de simplifier les procédures judiciaires à l’égard des sites diffusant des contenus portant atteinte à la propriété intellectuelle. Or, le risque de cette proposition est de  faire peser sur les données personnelles des utilisateurs, on peut également évoquer les dangers relatifs à la cybersécurité. Cette proposition n’est pas du goût de l’Electronic Frontier Foundation (EFF) ni de milliers de commentateurs (lien).