Par un jugement en date du 23 septembre 2021, le Tribunal judiciaire de Marseille a condamné à plus de 3 millions d’euros une société, son fondateur et des salariés pour contrefaçon par reproduction non autorisée de codes sources[1] et pour concurrence déloyale.
Dans cette affaire, qui interpelle au regard de l’importance de la sanction, la société GENERIX, qui a absorbé la société INFOLOG, a développé un logiciel GCS WMS pour la gestion des entrepôts et notamment ceux de la grande distribution.
Le responsable du support d’INFOLOG (devenue GENERIX) a quitté cette société pour créer sa propre société ACSEP en 2011, dont l’activité principale réside dans la fourniture de prestations dans le même domaine que celle de son ancien employeur. Par la suite, d’autres employés de la société GENERIX ont quitté celle-ci pour rejoindre la société ACSEP, et certains clients de la société GENERIX ont cessé leur collaboration pour se tourner vers ACSEP.
Par ailleurs, la société GENERIX a eu connaissance du fait que la société ACSEP était en possession des codes sources, pourtant confidentiels, du logiciel GCS WMS.
Des analyses internes et rapports externes privés diligentés par GENERIX sur ordonnance judiciaire ont révélé que les programmes sources des logiciels exploités par les deux sociétés étaient identiques (à 98%). Une constatation par huissier a permis d’affirmer que la société ACSEP détenait, dans un échange de mail avec un salarié de GENERIX, les codes sources du logiciel de GENERIX, et que ces derniers étaient utilisés pour effectuer des prestations ou vendre des produits similaires à ses clients.
La société GENERIX a alors assigné en justice la société ACSEP, son fondateur et deux de ses anciens salariés employés par la société ACSEP pour concurrence déloyale et contrefaçon.
1 – Sur la contrefaçon pour reproduction non autorisée des codes sources
Le Tribunal rappelle, dans un premier temps, que l’article L.112-2, 13° du code de la propriété intellectuelle (CPI) considère les logiciels, y compris le matériel de conception préparatoire, comme des œuvres de l’esprit. Il précise qu’il en découle que le code source d’un logiciel est une forme d’expression de celui-ci qui mérite par conséquent la protection du droit d’auteur.
Le Tribunal reconnait ensuite la titularité du logiciel à la société GENERIX en se fondant sur les certificats de dépôts auprès de l’Agence pour la Protection des Programmes (APP[2]) et les factures commercialisation du logiciel en cause.
Dans un second temps, le tribunal confirme que le logiciel GCS WMS constituait une œuvre originale, en raison des choix effectués et des caractéristiques spécifiques telles que :
- Des choix personnels quant à la structure du « scénario radio »
- Un choix propre quant aux réservations de stocks permettant d’optimiser les services,
- Le choix d’une forte interopérabilité du logiciel par l’utilisation d’un format d’échanges de données unique et original
- L’utilisation du langage de développement « COBOL » (qui n’est pas utilisé par les concurrents de GENERIX) pour une meilleure portabilité du logiciel sur un grand nombre de machines.
- Le développement d’un AGL en interne (Atelier Génie Logiciel) : APX visant à « normer » certaines actions (par exemple, la manière d’accéder à un fichier, l’accès à une base, la description des écrans).
- Un choix technique personnel quant aux IHM (interface homme-machine) totalement différentes sur un même environnement.
- Un choix encore propre concernant l’utilisation du logiciel : mise en œuvre d’un « WMS (Warehouse Management System) simplifié »
Or, ces choix opérés lors de la conception du logiciel ont été rendus possibles grâce à une analyse poussée des besoins métiers. En ce sens, le Tribunal Judiciaire de Marseille a donc considéré à juste titre que la société GENERIX était titulaire de droits d’auteur sur son logiciel GCS WMS, qui constitue une œuvre originale, et était fondée à en défendre la protection.
Enfin, la reproduction des codes sources du logiciel GCS WMS par la société ACSEP a été confirmée, après un rapport d’analyse technique révélant qu’ils avaient été reproduits à l’identique à 98% par les codes sources trouvés dans les échanges de courriels de la société ACSEP.
2 – Sur la concurrence déloyale pour débauchage massif
La concurrence déloyale est entendue comme une pratique visant à créer une confusion dans l’esprit du consommateur, caractérisée par un usage excessif de la liberté du commerce à travers des procédés qui rompent l’égalité dans les moyens de la concurrence.
Pour caractériser les actes de concurrence déloyale, il a été démontré par la société GENERIX qu’au moins 9 de ses anciens salariés, anciennement employés à la conception du logiciel en cause, ont rejoint la société ACSEP. Le Tribunal a considéré que ces actes de débauchage massif avaient eu pour effet « de priver la société GENERIX d’une partie de son savoir-faire, conduisant à sa déstabilisation ».
3 – Les sanctions prononcées
Si les sanctions paraissent lourdes, elles sont justifiées par l’important préjudice subi par la société GENERIX. En effet, plus de 2 millions d’euros de dommages-intérêts sont alloués au titre du manque à gagner, à savoir en raison de la résiliation de plusieurs contrats par des clients de GENERIX.
Par ailleurs, 814 000 € sont alloués au titre des économies réalisées notamment en R&D et 50 000 € en réparation du préjudice moral constitué par la dévalorisation de son savoir-faire et la banalisation de son œuvre.
La société ACSEP est en outre condamnée à verser 30 000 € au titre de la concurrence déloyale, notamment pour le débauchage massif de neuf salariés.
Enfin, le Tribunal ordonne la cessation de toute reproduction et utilisation des sources en cause, toutes versions confondues, mais aussi leur suppression ainsi que la désinstallation du logiciel, sous astreinte de 1 000 € par jour de retard, pendant un délai maximal de deux ans.
Deux anciens salariés ont également été condamnés in solidum avec la société ACSEP et son fondateur en raison de la divulgation du savoir-faire et de la propriété intellectuelle de GENERIX.
[1] https://www.legalis.net/jurisprudences/tribunal-judiciaire-de-marseille-jugement-du-23-septembre-2021/