Dans un jugement très motivé rendu le 9 mars 2021[1], le Tribunal judiciaire de Paris s’est prononcé sur la licéité d’une fiche professionnelle Google My Business (GMB), notamment en l’absence de consentement du professionnel concerné, en l’espèce un chirurgien-dentiste.
- Le contexte
Un chirurgien-dentiste découvre l’existence d’une fiche GMB relative à son activité professionnelle indiquant son nom, prénom, l’adresse de son cabinet, ses horaires d’ouvertures ainsi que des avis d’internautes relatifs à son cabinet et son activité, alors que celui-ci n’avait pas consenti à la création de cette fiche.
Le 11 septembre 2017, le chirurgien-dentiste demande alors la suppression de celle-ci aux sociétés GOOGLE INC (US) et GOOGLE FRANCE et de toute fonction permettant d’utiliser ses données personnelles, de le noter et de donner un avis le concernant. La société GOOGLE a, le 6 octobre 2017, refusé la demande.
Dans un premier temps, par ordonnance du 6 avril 2018, le juge des référés a ordonné à la société GOOGLE INC la suppression provisoire de la fiche GMB litigieuse. Dans un second temps, le demandeur a assigné les sociétés GOOGLE devant le Tribunal judiciaire dans l’objectif qu’un jugement au fond et définitif soit rendu sur cette affaire.
- L’absence de manquement à la règlementation sur les données à caractère personnel
Le demandeur reproche d’abord à la société GOOGLE le non-respect des principes prévus à l’article 5 du RGPD à savoir que le traitement doit être licite, loyal, transparent et que les données doivent être collectées pour des finalités légitimes, déterminées mais aussi être pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire.
Sur ce point le Tribunal judiciaire de Paris soutient que si les informations présentes sur la fiche litigieuse « sont incontestablement des données à caractère personnel », ces données sont dépourvues de caractère sensible, d’autant plus que ces dernières relèvent de la sphère publique dans la mesure où i) elles portent sur « des aspects élémentaires de son activité professionnelle », ii) sont accessibles par ailleurs sur l’Internet, et iii) ont été mises en ligne par le demandeur lui-même.
Par conséquent, la création d’une fiche d’information par Google, même sans le consentement du professionnel concerné, poursuit des finalités légitimes au sens du RGPD, puisqu’elle propose aux internautes un accès rapide à des informations publiques et pratiques sur les professionnels de santé.
Selon les juges, « la légitimité globale de la fonctionnalité permettant le recueil et la publication des avis induit, en outre, que la pertinence, l’adéquation ou le caractère excessif des données figurant isolément dans certains avis importent peu ». Ils rappellent également que s’agissant des avis en ligne, la légitimité de cette pratique, en ce qu’elle constitue une des principales sources d’information des utilisateurs, est admise par le législateur lui-même avec la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016.
Ainsi, le Tribunal considère que la société GOOGLE ne porte pas atteinte au droit fondamental à la protection des données à caractère personnel du demandeur.
Par ailleurs, le Tribunal précise qu’en l’espèce, la société GOOGLE n’opère aucun traitement des informations répertoriées sur la fiche professionnelle, mais se contente simplement de les afficher de façon « neutre », de sorte que le demandeur ne peut pas valablement soutenir que celle-ci réalise un profilage.
- Le caractère publicitaire de la fiche Google My Business
Le chirurgien-dentiste tente ensuite en vain d’expliquer que sa fiche professionnelle ne possède pas une finalité uniquement informative en faveur des internautes mais est de nature commerciale, ce qui est non seulement contraire à la déontologie médicale puisqu’il existe une interdiction de publicité faite aux médecins, mais lui permet également de s’opposer à ce traitement tel que le prévoit l’article 21. 2 du RGPD en offrant un droit d’opposition dès lors que « les données à caractère personnel sont traitées à des fins de prospection ».
Néanmoins, le Tribunal rejette ce fondement en considérant que la fiche n’est pas en elle-même un message de prospection commerciale, celle-ci possède bien une finalité purement informative, enlevant tout caractère publicitaire à Google My Business. En effet, GMB poursuit des finalités légitimes conformes au RGPD, en offrant aux internautes « un accès rapide à des informations pratiques sur les professionnels de santé ». De même qu’il est rappelé que l’adhésion au service GMB est optionnelle, et que le chirurgien-dentiste n’a jamais reçu la moindre offre commerciale.
Cependant, si les aspects élémentaires inhérents au cabinet médical constituent de simples indications informatives à l’égard des patients, les avis laissés par les internautes sont sujets à discussion. En effet, la notation et les commentaires émis par les internautes peuvent créer, d’une certaine manière, une publicité au professionnel concerné, une concurrence pourrait également s’installer entre tous les spécialistes sur un secteur donné.
- La mise en balance entre deux droits fondamentaux : la protection de la vie privée et la liberté d’expression
Enfin, le demandeur argue du fait que les sociétés GOOGLE ne peuvent se prévaloir ni de la redoutable exception tirée de la liberté d’expression, ni de l’exception dite « d’expression littéraire, artistique et journalistique » régie par la loi nᵒ 78-17 du 6 janvier 1978 dite loi informatique et libertés.
Le Tribunal ne suit pas cette argumentation et opère une mise en balance essentielle entre la protection des données à caractère personnel et la liberté d’expression. En effet, tout l’intérêt pratique de la fiche professionnelle GMB est d’informer les internautes sur les aspects pratiques inhérents à l’activité professionnelle du chirurgien-dentiste. En ce qui concerne les commentaires, il est primordial de souligner que ce n’est pas la société GOOGLE qui en est l’auteur, mais les patients, afin de permettre aux internautes de prendre connaissance des expériences vécues. En effet, il apparait légitime à leur égard, et plus précisément dans le domaine médical d’autoriser la publication des avis afin que les particuliers puissent recourir à cette précieuse information et trouver le praticien idéal.
C’est dans ces circonstances spécifiques que le Tribunal n’a pas retenu la responsabilité des sociétés GOOGLE et a fait prévaloir la liberté d’expression des internautes sur le respect du droit à la vie privée du chirurgien-dentiste. Cette même solution ressort dans l’arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 22 mars 2019[2], où la liberté d’expression des internautes a encore triomphé sur la protection des données à caractère personnel d’un médecin, en retenant que « ceux-ci relèvent plutôt de la libre critique et de l’expression subjective d’une opinion ou d’un ressenti de patients déçus ».
Cette difficile solution se comprend dans la mesure où il existe des alternatives en faveur du demandeur pour que celui-ci puisse se défendre contre des avis dépassant la liberté d’expression, notamment par des propos injurieux ou encore attentatoires à son honneur et/ou à sa réputation. Concrètement, le demandeur doit alors agir directement contre les personnes initiatrices des avis litigieux, chose possible dans la mesure où la société GOOGLE lui a fourni les données nécessaires à l’identification de ces auteurs.
Par conséquent, accorder au demandeur la suppression de sa fiche professionnelle GMB serait disproportionnée non seulement au regard des intérêts en jeu mais porterait également atteinte au principe de la liberté d’expression, principe fondamental dans le droit positif français.
- Ce qu’il faut retenir
En tout état de cause, il apparaît que les notations et avis laissés par les internautes soient entrés dans les mœurs et participeraient ainsi à l’information publique. Néanmoins, il est à noter que l’alternative proposée au praticien d’agir directement contre les auteurs des commentaires négatifs est, en pratique, lourde et difficile à réaliser. Cela risque donc d’encourager les internautes à poster des commentaires de façon anonyme et accentue les dérives des systèmes de notation.
[1] Tribunal judiciaire de Paris, 5ème ch. 1ère sec., 9 mars 2021 : https://www.legalis.net/jurisprudences/tribunal-judiciaire-de-paris-5eme-ch-1ere-sec-jugement-du-9-mars-2021/
[2] CA Paris, Pôle 1, chambre 8, 22 mars 2019 https://www.legalis.net/jurisprudences/cour-dappel-de-paris-pole-1-ch-8-arret-du-22-mars-2019/