Par une décision en date du 16 janvier 2025 1, le Tribunal judiciaire de Paris a statué sur l’appréciation de l’originalité d’un concept architectural, clé de la protection par le droit d’auteur.
En 2021, une société spécialisée dans la fabrication et la vente de cookies (ci-après « société Laura todd ») sollicite les services d’une agence d’architecture d’intérieur (ci-après « société Cinqtrois ») afin de développer un nouveau concept architectural pour ses boutiques de vente de cookies à Paris.
Cependant, selon la société Cinqtrois, ce concept dont elle est à l’origine a été reproduit, sans son autorisation, dans d’autres boutiques que celles prévues initialement au contrat. Par conséquent, cette société assigne sa cliente en contrefaçon de droit d’auteur aux fins d’obtenir la réparation du préjudice subi.
La société Cinqtrois avance que son concept architectural est original, notamment par la façade « au contraste raffiné entre le beige et le blanc cassé », et avec son « enseigne lumineuse ronde s’inscrivant dans un esprit rétro américain et home made premium ».
Elle précise que sa prestation ne pourrait être qualifiée de simple « relooking » et ce, car la société de vente de cookies aurait commandé expressément un « nouveau concept architectural » pour ses boutiques.
En défense, la société Laura todd argue que le concept délivré n’est pas original. En effet, la société Cinqtrois ne procédait pas à des choix créatifs, elle opérait simplement une revisite du style « industriel », combiné à la reprise d’éléments appartenant à l’identité visuelle préexistante de la défenderesse.
Elle argue également que le concept architectural n’est pas une création intellectuelle car la société prestataire a repris les meubles et éléments de décorations qui existaient dans les boutiques Laura todd.
Enfin, la société défenderesse précise que, même dans l’hypothèse où l’originalité serait caractérisée, celle-ci serait le fruit d’une œuvre collective. En effet, la société Laura todd aurait fourni des directives, et le travail créatif du logotype et des couleurs avait été fourni en amont par d’autres sociétés.
Ainsi, le Tribunal Judiciaire de Paris doit statuer sur la question de la protection par le droit d’auteur d’un concept architectural. Et plus particulièrement déterminer si les éléments le composant sont originaux ?
Le tribunal, à travers cette décision motivée, opère plusieurs rappels intéressants relatifs au droit d’auteur :
- Le droit d’auteur n’est pas un droit qui s’acquiert par une formalité de dépôt : l’auteur jouit du seul fait de sa création (article L. 111-1 al. 1 et 2 du code de la propriété intellectuelle).
- Le tribunal rappelle également ce qu’on entend par originalité. En effet, il s’agit de l’empreinte de la personnalité de son auteur et ne peut pas être une banale reprise d’un fonds commun non susceptible d’appropriation.
- Les juges précisent également ce qui peut être objet de droit d’auteur : croquis, plans, ouvrages plastiques relatifs à l’architecture, etc. (article L. 112-2, 12° du code de la propriété intellectuelle).
- Enfin, le Tribunal Judiciaire de Paris apporte des précisions sur la charge de la preuve. En effet, l’originalité doit être démontrée par celui qui se prétend auteur de l’œuvre originale : « seul ce dernier étant à même d’identifier les éléments traduisant sa personnalité ».
Statuant sur l’espèce, et partant de ces principes, le Tribunal Judiciaire de Paris rejette l’argument de la société Laura todd qui soutient que le concept architectural reste un « simple concept ». En effet, le tribunal affirme que le concept architectural prend la forme de planches d’inspiration annotées, de plans et donc d’une véritable création de forme susceptible d’être protégée.
Les juges poursuivent en analysant l’originalité contestée en défense et opère un examen détaillé des six créations architecturales.
- Concernant l’originalité de la façade
Le tribunal retient que la façade de la boutique n’était pas originale car cet habillage n’a qu’une fonction signalétique et d’attraction.
Cela ne relève pas d’un choix créatif mais fonctionnel. De plus, la combinaison de couleurs (beige ; blanc cassé) est commune pour un revêtement de façade et ne suffit pas à caractériser un choix libre et créatif de la société Cinqtrois.
Les enseignes lumineuses sont également de simples reprises, puisant dans le fonds commun des styles rétro américain et vintage. - Concernant l’originalité de la verrière intérieure
Le Tribunal Judiciaire de Paris dénonce un choix fonctionnel plutôt que créatif car la verrière intérieure a été installée seulement pour que les clients puissent voir l’espace de préparation des cookies depuis l’espace de vente.
De plus, la verrière de type « atelier » appartient au fonds commun de la décoration de style industriel et vintage. Cette verrière ne se distingue pas non plus par sa couleur, reprise dans la charte graphique de la société Laura todd. - Concernant l’originalité des étagères en arrière-comptoir
Les juges retiennent que la disposition des étagères en arrière-comptoir est banale dans un commerce.
En outre, ces étagères présentent des caractéristiques communes du style industriel. - Concernant l’originalité des revêtements muraux et de sol
À l’instar des autres éléments, les murs et le sol ne font que reprendre des « caractéristiques emblématiques des styles industriel et vintage dont l’association est courante », ils sont issus de fonds communs non susceptibles d’appropriation.
Les couleurs ne traduisent pas non plus un choix créatif. - Concernant l’originalité de la galerie de photographies
Le tribunal dénonce que le fait d’exposer, sous forme de galerie, des photographies des produits proposés à la vente est banal dans un commerce. - Enfin l’impression d’ensemble
Le Tribunal judiciaire de Paris observe que l’architecte d’intérieur possède bien un savoir-faire et des connaissances techniques et esthétiques. Cependant, ces compétences ne permettent pas de reconnaître une originalité à l’impression d’ensemble du concept architectural. En effet, la conjugaison des éléments architecturaux ne relève d’aucun choix libre et créatif.
Il peut être constaté que les juges retiennent deux éléments pour nier la protection par le droit d’auteur de chaque création architecturale :
- Les choix effectués sont fonctionnels ou banals, plutôt que libres et créatifs
- Le concept architectural en cause est bâti sur la reprise de styles appartenant à un fonds commun, non susceptible d’appropriation (styles industriel, rétro, vintage).
Les juges rejettent également les arguments tenant au parasitisme et à la concurrence déloyale, en application du principe de non-cumul des responsabilités extracontractuelle et contractuelle. En effet, la responsabilité délictuelle ne peut être engagée lorsque le dommage invoqué est lié à l’exécution d’un contrat.
Le Tribunal judiciaire de Paris conclut que le concept architectural en cause n’était pas protégé par le droit d’auteur, faute d’originalité. Par conséquent, la société Laura todd ne peut être reconnue contrefactrice.
- Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 1re sect., 16 janvier 2025, 22/04993 : https://pibd.inpi.fr/sites/default/files/2025-02/D20250002.pdf ↩︎