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L’exception de « copie privée » s’applique aux copies d’œuvres protégées dans le cloud !

Dans cette affaire, une société de droit d’auteur, l’Austro-Mechana[1] (la Sacem[2] autrichienne), releva que la société Strato fournissait à ses clients un espace de stockage en nuage (cloud) leur permettant de sauvegarder n’importe quel type de fichier, dont des copies d’oeuvres protégées. Dans ces conditions, la société de droit d’auteur réclama à la société Strato, […]
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Dans cette affaire, une société de droit d’auteur, l’Austro-Mechana[1] (la Sacem[2] autrichienne), releva que la société Strato fournissait à ses clients un espace de stockage en nuage (cloud) leur permettant de sauvegarder n’importe quel type de fichier, dont des copies d’oeuvres protégées. Dans ces conditions, la société de droit d’auteur réclama à la société Strato, le paiement d’une indemnisation en vertu de l’exception pour « copie privée».

Après un rejet de sa demande devant le tribunal de commerce de Vienne, l’Austro-Mechana fit appel devant le tribunal régional supérieur de Vienne. En raison des difficultés apparentes d’interprétation du droit européen, le tribunal régional supérieur de Vienne saisissait la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) et lui posait la question suivante : l’exception de copie privée prévue par la directive 2001/29[3] s’applique t’elle aux copies d’œuvres protégées et stockées dans le cloud ?

Cette règlementation et notamment l’article 5 de la Directive susvisée, reconnaît en effet à chaque Etat-membre la faculté de prévoir une telle exception pour copie privée et dispose que l’exception de copie privée s’applique aux reproductions effectuées sur tout support.

               Dès lors, la notion de « tout support » mentionnée au sein de la Directive, englobe-t-elle les serveurs de stockage dans le cloud ? D’autre part, le paiement d’une compensation au bénéfice des titulaires de droits d’auteur doit-il être nécessairement imposé aux fournisseurs de services de stockage dans le cloud ?

               Tout d’abord, la Cour précise que l’interprétation de la règlementation existante sur les exceptions et limitations du droit d’auteur doit être harmonisée et actualisée au regard de la diversification, au fil du temps et des évolutions technologiques, des moyens de création, de (re)production et d’exploitation des œuvres.

Ainsi, la CJUE relève que le téléversement (upload) d’une oeuvre protégée par le droit d’auteur dans le cloud consistant à stocker une copie de celle-ci, constitue bien une reproduction de l’œuvre.

Ensuite et compte tenu de l’absence de définition de la notion de « tout support », visée par la directive, la CJUE considère que les serveurs utilisés dans le cadre du cloud computing[4] sont des supports visés par l’exception de copie privée et qu’il n’y a pas lieu de distinguer si la copie a été effectuée via un support fourni par un tiers ou via un support appartenant au copieur.

En outre, la Cour énonce que si les Etats-membres ont la faculté de mettre en œuvre l’exception de « copie privée », ils doivent, dans cette hypothèse et obligatoirement prévoir une compensation équitable[5] au bénéfice du titulaire des droits d’auteurs. Les Etats-membres sont, par ailleurs, libres dans le choix de la personne qui devra payer cette compensation. Mais il est évident que, quelque soient les modalités de la redevance, les coûts seront finalement supportés, de manière certes indirecte, par les utilisateurs. La Cour insiste sur la nécessité d’une proportionnalité de la redevance au bénéfice des titulaires de droits d’auteur au regard de l’utilisation effective des consommateurs des œuvres protégées[6].

Ce qu’il faut retenir :

  • L’exception de « copie privée » s’applique aux copies protégées stockées dans le cloud (même si les serveurs sont fournis par un tiers)
  • Cette exception de copie privée s’accompagne nécessairement d’une compensation équitable au profit des titulaires de droits d’auteur sur les œuvres copiées : cette compensation permet de dédommager les auteurs pour l’utilisation gratuite de leurs œuvres par l’intermédiaire des appareils numériques (téléphones, ordinateurs…)
  • Les Etats-membres déterminent librement le système de compensation équitable: la compensation ne doit pas être nécessairement imposée aux fournisseurs de cloud si elle est prévue d’une autre manière

Après les clés USB, les MP4, les CD, les DVD, les tablettes tactiles ou encore les smartphones[7], il n’est pas surprenant que la redevance pour copie privée s’étende aujourd’hui aux services de stockage cloud. Cela semblait nécessaire : le développement des copies privées sur des supports numériques est de plus en plus important et ses conséquences, notamment économiques, ne sont plus négligeables.

Il est intéressant de noter que la CJUE avait considéré en 2017[8] que la mise à disposition de copies de programmes de télévision stockées dans le cloud ne relevait pas de l’exception de copie privée. Cependant, l’espèce était différente. Le service cloud en cause assurait la reproduction mais aussi la mise à disposition des œuvres protégées (activité pour laquelle l’autorisation du titulaire des droits d’auteur est nécessaire).

L’application de l’exception de copie privée dépendra donc de l’activité exercée par le fournisseur de cloud sur les œuvres protégées : simple reproduction ou mise à disposition d’œuvres protégées ?


[1] Austro-Mechana Gesellschaft zur Wahrnehmung mechanisch-musikalischer Urheberrechte Gesellschaft mbH

[2] SACEM : Société française des Auteurs Compositeurs et Editeurs de Musique gérée par les créateurs et éditeurs de musique afin de protéger leurs droits d’auteur

[3] Art. 5, paragraphe 2, sous b) de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information : «  Les Etats-membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations au droit de reproduction (…) lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales »

[4] Cloud computing : en français « informatique en nuage »

[5] Art. 5, paragraphe 2, b) de la directive 2001/29/CE : « Les Etats-membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations au droit de reproduction (…) lorsqu’il s’agit de [« copie privée »], à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable »

[6] Considérant 31 de l’arrêt commenté

[7] Barèmes de rémunération pour copie privée : https://www.copiefrance.fr/images/documents/tarifs_FR_2021_07_-_D22.pdf (tarifs pour les smartphones, tablettes média, clés USB…)

[8] CJUE, 29 novembre 2017, VCAST Limited/RTI SpA, affaire C-265/16

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