Dans un jugement du 8 février 2022[1], le Tribunal judiciaire de Paris a rappelé que les cessions de droits de propriété intellectuelle sans contrepartie financière étaient soumises au formalisme des donations. Conformément à l’article 931 du code civil, celles-ci doivent être passées devant un notaire au risque d’être annulées.
Dans cette affaire, deux associés ont conçu des antennes permettant la réception des données de balises placées dans des colliers pour chiens de chasse.
Dans le cadre de cette conception et dans le but de commercialiser ces modèles d’antennes, ils ont déposé une marque de l’Union européenne semi-figurative ainsi que des dessins et modèles communautaires.
Les produits étaient commercialisés par deux sociétés dont les concepteurs en étaient les associés. Toutefois, un des concepteurs a fini par quitter le capital de la première société puis la seconde fût liquidée.
Son ancien associé a donc créé une nouvelle société à qui il a cédé gratuitement ses droits sur la marque et sur les modèles des antennes conçues et sans recueillir l’autorisation de son ex-associé, également cotitulaire des droits de propriété intellectuelle.
Ce dernier l’a donc assigné, lui et sa société cessionnaire des droits, en nullité du contrat de cession. En effet, il argue que ladite cession des droits sur la marque et les modèles serait nulle au motif que l’acte s’analyserait en une donation et aurait dû être consentie par acte authentique et non par un acte sous seing privé.
La question à laquelle le tribunal a dû répondre et celle de savoir si une cession de droits de propriété intellectuelle sans contrepartie financière est une donation soumise au formalisme de l’acte authentique.
Le Tribunal judiciaire de Paris répond par l’affirmative en se fondant sur l’article 931 du code civil qui dispose que : “Tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires dans la forme ordinaire des contrats ; et il en restera minute, sous peine de nullité.”
Le tribunal rappelle les dérogations à ce formalisme à savoir : les dons manuels, la tradition (la remise physique de la chose donnée) et les donations déguisées ou indirectes dont les conditions de forme suivent celle de l’acte dont elles empruntent l’apparence. Il précise expressément que le “code de la propriété intellectuelle ne déroge pas à cette condition formelle des donations et prévoit seulement, s’agissant des marques que le transfert de leur propriété doit être constaté par écrit”.
Le tribunal précise en l’espèce que le contrat qui avait pour objet la cession de la marque d’un des associés à sa société « emporte explicitement transfert de propriété de la marque à titre gratuit » et en déduit qu’il s’agit donc d’une donation, non dissimulée. L’acte devait donc être passé devant un notaire.
Le tribunal judiciaire de Paris déclare donc nul le contrat sous seing privé cédant à la société d’un des cotitulaires, les marques et modèles en cause à titre gratuit.
Les juges parisiens appliquent donc au droit de la propriété intellectuelle strictement le formalisme des donations entre vifs, bien qu’un tel régime ne soit pas toujours adapté à la pratique de la cession des droits de propriété intellectuelle. En effet, les cessions à titre gratuit interviennent souvent intra-groupe ou entre un associé, titulaire d’une marque, et sa société, qui souhaite l’exploiter. Dans cette hypothèse, il sera donc opportun de céder ses droits pour un euro symbolique que gratuitement. Enfin, compte tenu de l’arrêt de la Cour de Cassation du 7 mai 2019 (n°17-15.621[2]) qui a précisé que « l’article 902 du code civil, selon lequel toutes personnes, sauf celles déclarées incapables, peuvent disposer par donation entre vifs ou par testament, n’exclut pas les personnes morales », ce jugement du 8 février 2022 a vocation à s’appliquer indifféremment aux donataires personnes physiques ou morales.
[1] Tribunal judiciaire de Paris, 8 février 2022, n°19/14142 M. B.A. / SARL Akis Technology et M. Y D’Z https://www.doctrine.fr/d/TJ/Paris/2022/U6278FB27CC176D9D719C
[2] Cour de Cassation, chambre commerciale, 7 mai 2019, n°17-15.621 https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000038488748?init=true&page=1&query=17-15.621&searchField=ALL&tab_selection=all