Dans un jugement en date du 22 septembre 2021[1], le Tribunal de l’Union européenne écarte le risque de confusion entre deux marques en considérant que les boissons alcoolisées et les boissons non alcoolisées sont différentes.
La société portugaise Água de Monchique dépose le 25 juillet 2017 la demande d’enregistrement de marque semi-figurative de l’Union européenne CHIC n°017027608 pour les produits « Boissons sans alcool ; eau en bouteille ; eau minérale non médicinale ; eaux minérales [boissons] » en classe 32.
Le 17 janvier 2018, Monsieur Pere Ventura Vendrell (ci-après « l’opposant ») forme opposition devant l’EUIPO à l’encontre de la demande d’enregistrement susmentionnée (ci-après « la demande de marque contestée ») en se fondant sur l’antériorité de sa marque de l’Union européenne « CHIC BARCELONA » n°016980195 (ci-après « la marque antérieure »)déposée en classe 33 pour les produits suivants : « Boissons alcoolisées à l’exception des bières ; Vin; Vins effervescents; Liqueurs; Spiritueux; Eaux-de-vie ».
Dans ce contexte, l’EUIPO – qui est chargé de statuer sur le risque de confusion[2] entre les signes et de déterminer si le public peut croire que les produits en cause proviennent de la même entreprise – rejette partiellement l’opposition en considérant :
- d’une part que les produits « eau en bouteille ; eau minérale non médicinale ; eaux minérales [boissons] » visés en classe 32 par la demande de marque contestée sont différents des produits « Vin; Vins effervescents; Liqueurs; Spiritueux; Eaux-de-vie » visés en classe 33 par la marque antérieure en ce que les premiers sont consommés pour étancher la soif et les seconds pour des occasions spéciales
- et d’autre part que « les boissons sans alcool » visées par la demande de marque contestée et « les boissons alcoolisées à l’exception des bières » visées par la marque antérieure sont similaires en ce qu’elles sont « souvent vendues dans les mêmes magasins et bars et figurent dans les mêmes cartes de boissons » et qu’elles « s’adressent aux mêmes consommateurs finaux et peuvent se faire concurrence »[3] .
Insatisfait de cette décision, l’opposant forme un recours devant l’EUIPO le 19 décembre 2018 qui lui donne raison et refuse l’enregistrement de la demande de marque contestée en considérant que les produits « eau en bouteille ; eau minérale non médicinale ; eaux minérales [boissons] » sont similaires (à un faible degré) aux « aux boissons alcoolisées » de la classe 33.
La Société da Água de Monchique déposante de la demande de marque semi-figurative CHIC conteste la décision de l’EUIPO et saisit le Tribunal de l’Union européenne.
Pour se prononcer sur la validité de la demande de marque contestée, le tribunal va sans surprise statuer sur la question qui fait débat, à savoir : Est-ce que les « eau en bouteille ; eau minérale non médicinale ; eaux minérales [boissons] » relevant de la classe 32, sont similaires aux « boissons alcoolisées à l’exception des bières » désignées par la marque antérieure et relevant de la classe 33 ?
Malgré les divergences jurisprudentielles[4] sur l’appréciation de la similarité des boissons alcoolisées et des boissons non alcoolisées, le Tribunal va cette fois donner raison à la société Água de Monchique et considérer que les « eau en bouteille ; eau minérale non médicinale ; eaux minérales [boissons] » relevant de la classe 32, sont différents des « boissons alcoolisées à l’exception des bières » relevant de la classe 33 pour les motifs suivants :
- La différence de nature des produits en cause : L’absence d’alcool dans la composition des produits contestés « eau en bouteille ; eau minérale non médicinale ; eaux minérales [boissons] » de la classe 32 ;
- La différence de finalité et d’utilisation des produits en cause : Les boissons alcoolisées sont destinées à être savourées alors que les boissons non alcoolisées et surtout « l’eau en bouteille ; l’eau minérale… », sont destinées à être consommées pour étancher la soif et à répondre à un besoin vital.
- L’absence d’un rapport de complémentarité entre les produits en cause : Cette notion, qui « a trait à l’existence d’un « lien étroit, doit être comprise en ce sens que l’un des produits est indispensable ou important pour l’usage de l’autre »[5]. En l’espèce, le Tribunal a considéré que « l’achat ou la consommation des produits relevant de la classe 32, visés par la demande de marque contestée, ne peut être considéré comme indispensable à l’achat ou à la consommation des boissons alcooliques relevant de la classe 33, visées par la marque antérieure, et inversement » (Point 52) ;
- L’absence de concurrence entre les produits en cause : « Tout consommateur moyen de l’Union, en présence d’eau minérale, gazeuse ou non, d’une part, et de boissons alcooliques visées par la marque antérieure, d’autre part, ne s’attendra pas à ce que ces boissons aient la même origine commerciale »[6] ;
- La distribution généralisée des produits en cause insuffisante pour caractériser le risque de confusion.
Si cette décision tend à affirmer que les boissons alcoolisées et les eaux et autres boissons non alcoolisées sont différentes, une confirmation de cette position pourrait être opportune et redonnerait toute sa force au principe de spécialité en matière de marques.
[1] Tribunal de l’UE, 22 septembre 2021, T-195/20, EU:T:2021:601, Sociedade da Água de Monchique / EUIPO et Pere Ventura Vendrell
[2] Art 8, paragraphe 1, point b) du Règlement (UE) 2017/1001 sur la marque de l’Union européenne
[3] EUIPO, Division d’opposition, n° B 3 025 130, CHIC BARCELONA vs CHIC ÁGUA ALCALINA 9,5 PH(Fig. : Bold letters, blue trop shape), 29-10-2018)
[4] Voir arrêt du TUE, 9 mars 2005, Osotspa/OHMI – Distribution & Marketing (Hai), T-33/03, point 46 qui a considéré que les produits visés en classe 32 (« bières ; eaux minérales et gazeuses et autres boissons non alcooliques… ») étaient similaires aux produits visés en classe 33 (« boissons alcooliques autres que des bières ») et voir a contrario point 59 de l’arrêt du TUE du 15 février 2005, Lidl Stiftung/OHMI – REWE-Zentral (LINDENHOF), (T-296/02, EU:T:2005:49) dans lequel le TUE a considéré que les « vins mousseux » étaient différents des « eaux minérales et gazeuses et autres boissons non alcooliques ; boissons de fruits et jus de fruits »
[5] Arrêt du TUE du 1er mars 2005, Sergio Rossi/OHMI – Sissi Rossi (SISSI ROSSI), T-169/03 point 60
[6] Point 60 de la décision commentée (T-195/20)