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La validité des constats en matière de saisie contrefaçon des droits de propriété intellectuelle : l’épineuse question de l’indépendance du tiers-expert

De la même manière que pour les constats d’achat, la validité des constats d’huissiers établis lors des saisies contrefaçon est très souvent conditionnée à l’indépendance du tiers, assistant l’huissier de justice.   L’appréciation de l’indépendance de ce tiers dépend notamment de sa qualité et de la profession qu’il exerce. La présente newsletter est l’occasion d’analyser cette […]
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De la même manière que pour les constats d’achat, la validité des constats d’huissiers établis lors des saisies contrefaçon est très souvent conditionnée à l’indépendance du tiers, assistant l’huissier de justice.  

L’appréciation de l’indépendance de ce tiers dépend notamment de sa qualité et de la profession qu’il exerce. La présente newsletter est l’occasion d’analyser cette exigence d’indépendance par les tribunaux à l’égard de la profession de conseil en propriété industrielle.

En droit français, la preuve des atteintes portées à des droits de propriété intellectuelle peut s’obtenir par « tous moyens ». 1 En matière de contrefaçon notamment, les constats établis par les huissiers de justice constituent un moyen de preuve privilégié.  

A travers notre analyse du mois de novembre 2022 (cf. lien), nous avions abordé la question du constat d’achat, qui est un mode de preuve fréquemment utilisé en complément d’un autre type de constat, à savoir le constat en matière de saisie contrefaçon.   

La saisie-contrefaçon est une mesure de conservation de preuve offerte à chacun des titulaires de droits agissant en contrefaçon.  En pratique, l’huissier de justice va procéder à la saisie matérielle ou descriptive de tous matériels ou documents susceptibles de venir confirmer les actes de contrefaçon.  

Cette mesure, très efficace en pratique, est possible sous réserve de l’autorisation préalable du juge à travers la délivrance d’une ordonnance de saisie-contrefaçon. L’établissement de la preuve est alors permise par la retranscription de cette opération de saisie et des constatations établies par l’huissier de justice dans le procès-verbal.  

Comme pour le constat d’achat, l’huissier de justice est en pratique souvent assisté d’un tiers pour faciliter l’établissement de ses constatations. En matière de saisie-contrefaçon, cette faculté d’assistance est d’ailleurs expressément prévue dans le code de propriété intellectuelle. A titre d’exemple, le titulaire d’un brevet est, selon le deuxième alinéa de l’article L615-5 du CPI, en droit de demander une saisie à un huissier qui est, le cas échéant assistés d’experts ».  

Ce tiers assistant, qualifié d’expert ou d’homme de l’art, est doté de compétences, d’expertises techniques nécessaires au bon déroulement de cette saisie-contrefaçon.  

L’intervention d’un tiers expert pose régulièrement l’épineuse question de son indépendance. En effet, comme énoncé dans notre précédente newsletter, dès les années 2000, la première chambre civile de la Cour de cassation a posé une exigence d’indépendance de l’expert désigné pour « assister l’huissier instrumentaire ou le commissaire de police procédant à la saisie-contrefaçon d’un logiciel2 », et ce, au nom du droit à un procès équitable de la partie adverse. 

A titre d’exemple, les tribunaux français ont considéré que le salarié du demandeur en contrefaçon désigné en tant qu’assistant de l’huissier de justice ne répondait pas à cette exigence d’indépendance3

A contrario, et ce qui retiendra notre attention dans notre analyse, les juges ont admis que la désignation du conseil en propriété industrielle (ci-après CPI), satisfaisait cette exigence d’indépendance.    

En pratique, cette désignation est très fréquente et a fait régulièrement l’objet de discussions devant les tribunaux.  

Des incertitudes existaient dans l’hypothèse où le CPI, désigné comme tiers-expert, s’impliquait habituellement dans la gestion et/ou la défense des droits de propriété intellectuelle de la partie saisissante.  

Dès 2005, la chambre commerciale de la Cour de cassation a écarté tout obstacle à cette désignation, en relevant : « que le conseil en propriété industrielle, fût-il le conseil habituel de la partie saisissante, exerce une profession indépendante, dont le statut est compatible avec sa désignation en qualité d’expert du saisissant dans le cadre d’une saisie contrefaçon de marque »4. 

En effet, l’exercice de cette profession est réglementé. En plus de respecter un certain nombre d’obligations, les CPI s’engagent à exercer leur mission avec « dignité, conscience, indépendance et probité » 5

Toutefois, les juges de la Cour d’appel de Paris ont pu avoir une position divergente de celle de  la Cour de cassation sur cette question.  

En effet, la Cour d’appel de Paris a montré une certaine réticence dans la désignation du CPI en tant que tiers-expert dans l’hypothèse où ce dernier avait, dans un même litige, préalablement procédé au rapport d’expertise privé, à la demande de la partie saisissante.  Ainsi, par un arrêt du 27 mars 20186, les juges de la Cour d’appel de Paris ont considéré que cette désignation était contraire à l’exigence d’indépendance du tiers expert.  

La Cour de cassation a censuré cette décision, estimant que « le fait que le conseil en propriété industrielle de la partie saisissante ait, à l’initiative de celle-ci, établi un rapport décrivant les caractéristiques du produit incriminé » ne constituait pas un obstacle à sa désignation postérieure en qualité d’expert pour assister l’huissier, dans le cadre d’une saisie-contrefaçon de brevet.7 

Ainsi, la proximité de l’expert avec la partie demanderesse ne suffit pas à rendre cette désignation contraire au respect du droit de la défense et à l’administration d’une preuve loyale.  

Bien que cette position de la Cour de cassation sur l’indépendance du CPI en qualité d’expert ne semble pas aujourd’hui discutée au niveau des juridictions de première et seconde instance, il convient de rester vigilant dans le choix du tiers expert compte tenu des enjeux financiers et procéduraux liés à la réalisation d’une saisie contrefaçon. 

En effet, le défaut d’indépendance de ce tiers expert vous fait encourir le risque d’être dans l’incapacité d’apporter, au cours de l’instance, la preuve de l’existence mais aussi de l’étendue de la contrefaçon portée à vos droits de propriété intellectuelle.   

1 Illustration par l’Art. L615-5 CPI, voir aussi : L332.1 CPI (droits d’auteurs) ; L716-4-7 du CPI (droit des marques) ; L521-4 du CPI (dessins et modèles). 

2 Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 6 juillet 2000, 97-21.404 97-22.141  97-22.392 97-22.430, Publié au bulletin. 

3 Cour de Cassation, Chambre commerciale, du 28 avril 2004, 02-20.330, Publié au bulletin – Légifrance  

4 Cass. com., 08-03-2005, n° 03-15.871 

5 Article R422-52 – Code de la propriété intellectuelle – Légifrance (legifrance.gouv.fr) 

6 Cour d’appel de Paris, 27 mars 2018, RG n° 17/18710 Pôle 5 – Chambre 1 

7 Cour de Cassation Chambre commerciale du 27-03-2019. n° 325, pourvoi n H 18-15.005 

   

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