Marque patronymique: Maître Laurent BARISSAT interviewé par le journal Les Echos

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Marque patronymique : comment garder le contrôle ?

Par Laurence Neuer, journaliste | 27/11/2013
Garder le contrôle sur sa marque et son nom patronymique en cas de cession est difficile, surtout quand le nom patronymique peut être enregistré à titre de marque, et donc acquérir une valeur patrimoniale.
Crédits photo : Wikimedia/nicogenin
Lorsque Inès de La Fressange a vendu sa maison de couture tout en devenant salariée du repreneur, elle a aussi de fait cédé la marque éponyme.
La marque, c’est la porte ouverte sur l’imaginaire. Le lustre auréolant les produits et services vendus. Pas étonnant que le fondateur cédant de l’entreprise estampillée de son nom de famille soigne particulièrement la valorisation de ce signe distinctif, a fortiori lorsqu’il est notoire. Car le droit français assume ce paradoxe : le nom patronymique constitue un droit de la personnalité inaliénable et imprescriptible, mais il peut néanmoins être enregistré à titre de marque et donc acquérir une valeur patrimoniale. « La marque patronymique est surtout utilisée dans des secteurs privilégiant l’authenticité, le savoir-faire ou le sur-mesure comme ceux de la haute couture (Hermès, Lanvin…), du design (Jean Nouvel, Norman Foster…) ou de l’industrie (Bouygues, Lagardère, Renault…) », rappelle Laurent Barissat, avocat associé du cabinet Clairmont. Encore faut-il préserver ses droits et sa réputation. Comment conserver son « image de marque » ? Comment garder le contrôle sur sa marque patronymique en cas de cession de son entreprise ? Peut-on exploiter sous son nom sans porter préjudice à un homonyme célèbre ? Éclairage.

Déposer une marque patronymique

D’aucuns seraient mal inspirés de déposer le nom « Eiffel » à titre de marque. La notoriété du constructeur de la célèbre tour de fer puddlé entraînerait un risque de confusion évident autorisant les héritiers à s’y opposer, ce qui a été confirmé par dans la cour d’appel de Paris en 2006. À l’inverse, une entreprise à l’enseigne notoire peut déposer comme marque le nom patronymique d’une personne dès lors que celle-ci n’est pas spécialement connue du grand public. Ainsi, Coca-Cola a pu déposer la marque « Coca-Cola Light Sango », ignorant qu’il s’agissait du nom d’un musicien. Celui-ci a néanmoins poursuivi le géant américain du soda estimant que cette marque portait atteinte à son image. Peine perdue. Dans un arrêt du 10 avril 2013, la Cour de cassation lui a donné tort, estimant que « la marque ne peut faire naître de risque de confusion tant en raison du grand nombre de personnes portant ce nom que du caractère insuffisant de la notoriété attachée à ce dernier », explique Me Barissat.

Perdre l’usage de sa marque patronymique

Cela est assez courant dans l’univers de la mode. Ainsi, après avoir vendu sa marque à LVMH (propriétaire des « Échos »), Kenzo a dû déposer « Kenzo Takada » pour vendre ses collections. De même, lorsque Inès de La Fressange a vendu sa maison de couture tout en devenant salariée du repreneur, elle a aussi de fait cédé la marque éponyme (propriété de sa société) et n’a pas pu empêcher le cessionnaire de continuer à l’utiliser après son départ. C’est ce qu’a jugé la Cour de cassation en 2006 estimant que la créatrice devait garantir l’acquéreur et titulaire de la marque contre tout trouble dans la jouissance des droits cédés. Devant la CJUE, une autre créatrice de mode anglaise et première fabricante des vêtements commercialisés sous ses prénom et nom Elizabeth Emmanuel avait invoqué le fait que la marque détenue par le cessionnaire ne correspondait plus aux services rendus et trompait les consommateurs. C’est d’ailleurs sur ce fondement de « déceptivité » de la marque que la cour d’appel avait donné raison à Inès de La Fressange avant d’être désavouée par la Cour de cassation. Mais la CJUE n’a pas donné gain de cause au créateur. « Elle a considéré que le titulaire de la marque ne peut être déchu de ses droits au seul motif que le titulaire du nom patronymique n’appartenait plus à la structure. Ainsi, la jurisprudence française et communautaire semble privilégier la société cessionnaire au détriment du titulaire du nom dès lors qu’elle ne fait pas croire à sa clientèle que celui-ci est encore rattaché à la société », note Me Barissat. Mais l’histoire se terminera bien pour Inès de La Fressange redevenue en mai 2013 directrice artistique du fonds d’investissement qui possède désormais la maison de couture éponyme.

Exploiter la notoriété d’un nom

Une société a-t-elle le droit de déposer en tant que marque le nom patronymique de celui dont elle tient sa notoriété ? Prenons le cas d’un restaurateur célèbre qui autorise la société qu’il a créée avec d’autres à insérer son patronyme dans la dénomination sociale. La société n’est pas pour autant habilitée à déposer ce patronyme à titre de marque pour désigner les mêmes services. C’est ce qu’a jugé la Cour de cassation en 2003 dans l’affaire Ducasse. « Il faut donc un accord spécifique et supplémentaire par lequel le célèbre restaurateur aurait autorisé le dépôt de la marque. Mais que vaut une dénomination sociale s’il n’est pas possible de la protéger par une marque ? », interroge le professeur de droit Laure Marino sans son ouvrage « Droit de la propriété intellectuelle ». En même temps, poursuit Laure Marino, on ne peut pas déposséder Ducasse de la valeur de son nom, valeur qu’il a lui-même créée. Et de conclure : « La jurisprudence est pragmatique : si la société a rendu le nom célèbre, le juge fera prévaloir les intérêts de la société ; en revanche, si la personne avait un patronyme notoire avant la création de la société, ce sont les droits de la personne qui prévaudront. »

Gérer l’homonymie

Une personne veut utiliser son nom patronymique pour exploiter son activité, mais une entreprise a déjà déposé ce nom à titre de marque. À qui profite l’homonymie ? En principe, le dépôt de son nom patronymique à titre de marque n’est plus possible lorsqu’un nom identique a été déposé. Mais qu’en est-il si une personne portant le nom « Céline » ouvrait dans son village un magasin à l’enseigne Céline ? Ou si Raymond Henriot, gérant d’une société de production de vins de Champagne, commercialisait son champagne sous l’enseigne ou le nom de domaine portant son patronyme ? Selon l’article L. 713-6 du CPI, « l’enregistrement d’une marque ne fait pas obstacle à l’utilisation du même signe ou d’un signe similaire comme dénomination sociale, nom commercial ou enseigne lorsque cette utilisation est (…) le fait d’un tiers de bonne foi ». Les demandes d’interdiction d’usage des marques formées par la célèbre maison rémoise ont donc été rejetées par la Cour de cassation, qui a estimé que le porteur du nom patronymique exerçait son activité de bonne foi. Moralité : « Le titulaire du nom patronymique qui a été déposé comme marque par un tiers peut néanmoins exploiter son activité sous son nom même si elle est identique à celle du titulaire de la marque antérieure », résume Me Barissat. 57327_632740_0203150739222_web Crédits photo : Jérôme Meyer-Bisch pour ‘Les Echos’