La revue des MARQUES: Article de Laurent BARISSAT

juridique   PAR LAURENT BARISSAT •   Marque patronymique, Le créateur et la marque
Par Laurent Barissat, Avocat associé, cabinet Clairmont | revue

Déposé au titre de marque,

le nom patronymique peut être

commercialement exploité.

Avec ses avantages et ses inconvénients.

La marque Inès de la Fressange va être relancée. Elle vient, en effet, d’être rachetée par un fond d’investissement et d’autres actionnaires pri­vés, qui désigneront Inès de la Fressange comme directrice artistique. La créatrice avait dû céder son nom patronymique à la société qui l’employait, et avait perdu tout droit d’usage sur celui-ci au jour où elle s’en était vue évincée (ndlr : licenciée pour « faute lourde » par François-Louis Vuitton en 1999). Ce rachat permet ainsi de rétablir le lien entre la marque et la créatrice. La perte de l’usage de son nom déposé à titre de marque est une déconvenue courante dans l’univers de la couture. Ce fut le cas, par exemple, pour Kenzo qui, après avoir vendu sa marque au groupe LVM H, a dû en créer une nouvelle – Kenzo Takada –pour vendre ses collections. La marque patronymique est sur­tout utilisée dans des secteurs qui font intervenir des notions d’authenticité, de savoir-faire ou de sur-mesure. Il en est ainsi pour le secteur du luxe (Taittinger…), de la couture (Hermès, Lanvin…) ou du design (Jean Nouvel, Norman Foster…). Elle peut être aussi le nom du fondateur d’une entreprise industrielle (Renault, Bouygues, Lagardère…). Ses particularités ne doivent pas faire oublier que la marque patronymique obéit aux dis­positions du Code de la propriété intellectuelle (CPI) avec, toutefois, quelques assouplissements. Ainsi, le nom patrony­mique peut être déposé à titre de marque, et faire l’objet d’une exploitation commerciale (art. L 711-1 (a)). Dès lors, le patronyme peut constituer une marque, au bénéfice de son titulaire ou au bénéfice d’un tiers que le titulaire du nom a dûment autorisé.
 La protection du nom patronymique Le nom patronymique est protégé par le Code de la propriété intellectuelle. En effet, il constitue une antériorité opposable au tiers désirant déposer un tel nom à titre de marque (art. L 711-4 (g) du CPI). Toutefois, l’individu qui souhaite se voir reconnaître cette anté­riorité doit démontrer le risque de confusion entre la marque déposée et son nom patronymique. La jurisprudence considère que ce risque existe quand la marque contestée reprend un nom célèbre.ines de Ainsi le risque de confusion a-t-il été reconnu dans un cas où une société voulait déposer le nom Eiffel à titre de marque (CA de Paris, 14 juin 2006). Mais tel n’a pas été le cas dans une affaire récente (C. Cass., lere civ.,io avril 2013) dans laquelle un artiste dénommé Sango reprochait à la société Coca-Cola d’avoir lancé une boisson sous le nom Coca-Cola Light Sango. La Cour relève l’absence de toute confusion possible, tant en raison du grand nombre de personnes portant le même patronyme que du caractère insuffisant de la notoriété attachée à ce nom. Cette protec­tion semble donc relative compte tenu de l’obligation pour l’individu de démontrer le risque de confusion. Le dépôt d’une  marque patronymique Chacun peut déposer son nom patronymique à titre de marque, ce qui constituera ainsi une antériorité opposable aux tiers désirant déposer ce même nom à titre de marque. Mais, que se passe-t-il en matière d’homonymie ? L’article L 713-6 du Code de la propriété intellectuelle dispose que l’enregistre­ment d’une marque ne fait pas obstacle à l’utilisation du même signe ou d’un signe similaire comme dénomination sociale, nom commercial ou enseigne lorsque cette utilisation est […] le fait d’un tiers de bonne foi )›. Dès lors, si le dépôt à titre de marque du nom patronymique n’est plus possible lorsqu’un nom identique a été déposé, l’exploitation commerciale de ce nom reste possible. L’exploitation d’une marque patronymique Outre les litiges qui peuvent naître à l’occasion du dépôt d’une marque patronymique, l’exploitation de celle-ci peut également être objet de litiges.Tel en a été le cas pour Inès de la Fressange, qui n’a pas pu empêcher la société titulaire de la marque éponyme de continuer à l’utiliser après son départ. La créatrice avait cherché à faire annuler les accords de cession portant sur son nom conclus avec la société qui l’employait. Demande rejetée par la Cour de cassation, sur le terrain de la vente, au motif que la créa­trice devait garantir l’acquéreur (le titulaire de la marque) contre tout trouble dans la jouissance des droits cédés.cocasango La créatrice et première fabricante des vêtements commercialisés sous cette marque a ensuite fait valoir auprès de la Cour de jus­tice de l’Union européenne que la marque serait devenue décep­tive tromperait le consomma­teur quant  l’origine des produits. Mais, pour la Cour européenne, le titulaire de la marque ne peut être déchu de ses droits au seul motif que le titulaire du nom patronymique n’appartient plus à la structure. Ainsi, la jurisprudence française et communau­taire semble privilégier la société bénéficiaire de la cession au détriment de la personne titulaire du nom patronymique. Les tribunaux sont toutefois favorables à cette dernière lorsqu’il s’agit d’interpréter l’étendue des droits cédés. Il a, en effet, été jugé que le consentement donné à l’inser­tion de son patronyme dans la dénomination d’une société exerçant son activité dans le même domaine ne sau­rait autoriser la société à déposer ce patronyme à titre de marque pour désigner les mêmes produits ou services (CA d’Aix-en-Provence, 27 avril 2000, affaire Ducasse). La cession portant sur un nom patronymique doit donc être interpré­tée strictement. Il est dès lors fortement conseillé au titu­laire du nom patronymique de préciser, dans les accords portant sur son nom, les utilisations qui sont envisagées ou encore les conséquences de son potentiel départ, lui évitant ainsi un éventuel combat juridique. Le nom patronymique devenu une marque garantissant l’origine et la qualité des produits et services d’une entreprise peut constituer un enjeu majeur pour l’entreprise au moment du départ de son fondateur ou en cas de dissensions entre ses héritiers.   Voir le lien

(la revue des marques – n°85 – janvier 2014 – page 85