Streaming
Les précisions apportées par la CJUE quant à la retransmission d’émissions et de programmes télévisés en streaming
CJUE, 7 mars 2013, n° C-607/11, aff. ITV Broadcasting Ltd et a. c. TVCatchup Ltd

Plusieurs diffuseurs de programmes télévisés britanniques ont intenté une action à l’encontre de la société TVC, qui propose aux internautes de regarder des émissions télévisées en streaming depuis son site internet, quasiment en temps réel. L’accès à ce site internet est conditionné par (i) la localisation de l’internaute sur le territoire britannique (ce dont TVC s’assure par un équipement spécifique) et (ii) la déclaration par les utilisateurs qu’ils possèdent une licence de télévision valable.
Les programmes télévisés concernés par la présente décision sont des émissions de télévision, des films et des éléments inclus dans les émissions sur lesquels les diffuseurs sont titulaires de droits d’auteur.
Interrogée par la Haute Cour de Justice britannique, la CJUE a décidé que le droit exclusif des auteurs ou de leurs ayant-droits de communiquer une œuvre au public couvre la retransmission d’œuvres télévisuelles effectuées par un tiers autre que le radiodiffuseur original à ses abonnés par streaming, y compris si ces abonnés peuvent recevoir légalement les chaînes de télévision dont les œuvres sont retransmises. Le fait que les parties soient ou non en situation de concurrence directe est sans incidence sur cette solution.
La Cour précise en outre qu’est exigée une nouvelle autorisation pour une retransmission simultanée, inchangée et intégrale, par satellite ou par câble, d’une transmission initiale d’émissions de télévision ou de radio qui contiennent des œuvres protégées, bien que ces émissions puissent être déjà reçues dans leur zone de couverture par d’autres modes techniques, tels que par ondes radioélectriques des réseaux terrestres.
Ainsi, l’arrêt a une double portée :
- il vient clarifier la situation en décidant qu’en l’absence d’autorisation du diffuseur original ayant des droits d’auteur sur les programmes télévisés en cause (émissions, films, autres éléments inclus dans les émissions), la retransmission en streaming de ces programmes constitue une contrefaçon.
- il précise que la mise en œuvre du droit de communication d’une œuvre au public n’est pas subordonnée à l’existence d’un public nouveau dès lors que l’œuvre est transmise par un mode de communication différent (en l’espèce, télévision puis streaming sur internet) de celui des précédentes transmissions.
L’affaire est désormais renvoyée devant la Haute Cour de Justice britannique qui rendra sa décision sur la base de ces éléments.
Nom de domaine
LEGIFRANCE voit sa demande de transfert de nom de domaine rejetée par l’AFNIC.
Afnic-syreli, Demande n°FR-2012-00285, 18 février 2013, legifrance.fr
La Direction de l’Information Légale et Administrative (DILA) a déposé une plainte SYRELI auprès de l’AFNIC afin d’obtenir le transfert du nom de domaine « legifrance.fr » réservé le 20 novembre 2012 par la société STATEO.
Afin d’obtenir ce transfert, la DILA a présenté une argumentation très succincte (neuf lignes) intégralement reproduite dans la décision du Collège de l’AFNIC du 18 février 2013.
La DILA a bien fourni les droits antérieurs fondant sa demande, à savoir le nom de domaine « legifrance.gouv.fr » et la marque « LEGIFRANCE – L’ESSENTIEL DU DROIT EN FRANCE », en énonçant toutefois de manière inexacte que celle-ci était identique au nom de domaine litigieux.
Sur ce point, le Collège a considéré que le nom de domaine litigieux est similaire à la marque antérieure invoquée et est en conséquence susceptible de porter atteinte aux droits de Propriété intellectuelle du Requérant.
En revanche, en ce qui concerne les conditions d’absence d’intérêt légitime et de mauvaise foi du titulaire du nom de domaine, la DILA s’est contentée d’indiquer que le nom de domaine, réservé sans autorisation des Services du Premier ministre, crée un risque de confusion dans l’esprit du public avec ses droits antérieurs, en précisant simplement que le site internet, auquel renvoie le nom de domaine litigieux, mentionne le célèbre site d’informations juridiques.
Le Collège de l’AFNIC a considéré ces éléments comme étant insuffisants et a donc décidé que le Requérant n’a pas apporté la preuve de l’absence d’intérêt légitime et de la mauvaise foi du titulaire faute d’éléments sur ces points y compris dans les pièces fournies.
Le Collège de l’AFNIC a en conséquence refusé le transfert du nom de domaine litigieux au profit du Requérant.
L’image des biens publics
La prise de vue d’œuvres d’une collection de musée est assimilable à une utilisation du domaine public mobilier
Conseil d’Etat, 8ème et 3ème sous-section réunies, 29 octobre 2012, n°341173
En dépit de la richesse du patrimoine mobilier détenu par l’Etat ou ses administrations, la question du statut juridique de l’image des biens public n’était pas, jusqu’à l’arrêt du Conseil d’Etat, véritablement fixée.
Le Conseil d’Etat vient, en effet, d’affirmer, que les personnes publiques ont le droit d’autoriser l’utilisation du domaine public mobilier et le droit d’interdire la reproduction de l’image d’un bien.
Une société demande au Maire de la commune de Tours l’autorisation de photographier des œuvres appartenant aux collections du musée des Beaux-Arts de Tours, afin de publier les clichés dans des ouvrages scolaires ou des ouvrages d’art et dans la presse. Le Maire rejette cette demande et ce refus est attaqué pour excès de pouvoir. En première instance, les demandes de la société sont rejetées. La Cour administrative d’appel annule la décision sur le fondement de la liberté du commerce et d’industrie.
Le Conseil d’Etat annule cette décision.
La Haute juridiction considère que la prise de vue d’œuvres relevant des collections d’un musée, à des fins de commercialisation, doit être regardée comme une
« utilisation privative du domaine public mobilier impliquant la nécessité, pour celui qui entend y procéder, d’obtenir une autorisation » ainsi que le prévoit l’article L2122-1 du Code Général de la Propriété des Personnes Publiques.
Ainsi, la collectivité territoriale peut autoriser ou interdire de telles prises de vues. L’autorisation sera délivrée seulement si les prises de vues par des sociétés professionnelles sont compatibles avec la mission de service public du musée, à savoir
« l’affectation des œuvres au service public culturel » et leur
« conservation ».
Il ressort également de l’arrêt que le fondement de la liberté du commerce et de l’industrie ne peut être opposé au refus de l’administration. En effet, le Conseil d’Etat précise que la décision de refuser une telle autorisation n’est pas susceptible par elle-même de porter atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie.
S’agissant de la reproduction de l’image d’un bien privé, la Cour de cassation avait décidé dans un important arrêt de 2004 que
« le propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci […] il peut toutefois s’opposer à l’utilisation de cette image par un tiers lorsqu’elle lui cause un trouble anormal » (Cass. ass plén. 7 mai 2004. Bull civ n°10).
Concurrence déloyale – Contrefaçon de marque
Compétence exclusive du TGI pour décider de mesures in futurum dans le cadre d’un litige portant sur des actes de concurrence déloyale indissociablement liés à des actes de contrefaçon de marque
Cour de cassation, chambre commerciale, 20 novembre 2012, n°11-23.216, société Sun City c/ sociétés Scemama et Scemama international

La société Sun City, estimant qu’elle était victime d’actes de concurrence déloyale, de détournement de clientèle et de cloisonnement du marché français de la part des sociétés Scemama et Scemama international, a présenté une requête devant le président tribunal de commerce de Paris aux fins de voir désigner un huissier de justice afin qu’il se rende dans les locaux desdites sociétés pour rechercher et constater tous documents utiles à la preuve.
En ce sens, le président du tribunal de commerce de Paris a ordonné cette mesure in futurum.
Or, les sociétés Scemama et Scemama international ont contesté la compétence du tribunal de commerce de Paris.
La cour d’appel de Paris (24 juin 2011), après avoir relevé qu’il résulte des termes de la requête et des pièces y afférentes que les actes de concurrence déloyale, de détournement de clientèle et de cloisonnement du marché français étaient indissociablement liés à des actes de contrefaçon, a déclaré fondée l’exception d’incompétence au profit du président du tribunal de grande instance de Paris.
Un pourvoi est alors formé par la société Sun City, laquelle estime que seuls des actes de concurrence déloyale sont en cause.
La chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi, considérant que la cour d’appel avait exactement déduit que
« la mesure de constat sollicitée étant liée de façon indissociable à des actes de contrefaçon de marque imputée à la Société Sun City, le juge compétent pour connaître de l’affaire au fond était en application de l’article L 716-3 du code de la propriété intellectuelle, le tribunal de grande instance de Paris, et qu’en conséquence, seul le président de ce tribunal était compétent pour une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ».
Ainsi, seul le président du tribunal de grande instance est compétent pour ordonner une mesure in futurum lorsque le différend met en cause des actes de concurrence déloyale indissociablement liés à des actes de contrefaçon de marque.
Marques
La « Trademark Clearinghouse (TMCH) » : un nouvel outil de protection des droits de marques

Dans le cadre de la mise en place des
nouvelles extensions internet (« NewgTLDs »), l’ICANN a mis en place, le 26 mars 2013, un mécanisme de protection des droits de marque : la «
Trademark Clearinghouse » connu également sous l’acronyme «
TMCH ».
La « TMCH » sert à :
- Permettre à un titulaire de droit de marque d’enregistrer prioritairement son nom dans les nouvelles extensions internet qui l’intéressent (phase intitulée « sunrise period ») pendant au moins 30 jours ;
- Etre alerté durant une période de 90 jours d’une notification d’enregistrement de votre marque par un tiers dans l’une des nouvelles extensions (« trademark Claim service »).
The Sunrise service : bénéfice de l’enregistrement prioritaire (« Sunrise Period »)
Durant la période d’enregistrement prioritaire de 30 jours, le titulaire d’une marque enregistrée dans la TMCH pourra, s’il le souhaite, déposer le nom de domaine dans le « NewgTLD » qui l’intéresse via un numéro d’identification unique intitulé « SMD » (« Signed Mark Data »).
Ce service coûte 150$ (correspond à l’inscription d’une marque).
En conséquence, pour les titulaires de larges portefeuilles de marque, il existe des possibilités pour obtenir des tarifs plus avantageux.
La TMCH présente 2 inconvénients :
- La TMCH détecte uniquement les réservations de noms de domaine qui reproduisent la marque d’un titulaire de droits à l’identique (et non la reproduction similaire);
- Lorsqu’un tiers souhaite réserver un nom de domaine reproduisant une marque intégrée dans la base de la TMCH, le titulaire de droits recevra une notification mais aucun mécanisme n’empêche le cybersquatteur ou un tiers d’enregistrer le nom de domaine.
Reprise de l’élément essentiel et déterminant d’une marque et risque de confusion
Cour d’Appel de Paris Pôle 5, ch 2, 1er février 2013 n°12/06656, Sarl Delahaye c/ Association Les amis du signe de pise

L’utilisation du vocable « Les Amis du » accolé à la marque antérieure « signe de piste » afin de créer une nouvelle marque n’est pas suffisante pour évincer le risque de confusion.
Les faits de cette espèce sont particuliers et méritent d’être rapportés.
La société Delahaye, éditrice d’ouvrages a acquis de la société Signes Jeunesse les publications de la collection « Signe de piste » ainsi que la marque verbale « signe de piste », déposée le 6 septembre 2001, sous le numéro 01 3120337 en classes 9, 16, 35, 38 et 41. Elle utilise cette marque pour la commercialisation des ouvrages notamment par la voie de son site internet «
www.carnet2bord.com ».
La société constate que l’association « Les amis du signe de piste » dont l’objet social est de promouvoir la littérature de jeunesse, et notamment les collections « signe de piste » et autres collections pour l’adolescence, faisait usage du signe « signe de piste » à d’autres fins que celles définies dans l’objet social, et l’assigne donc en contrefaçon de marque.
Elle lui reproche de faire usage de la marque « signe de piste » :
- afin de promouvoir des ouvrages pour la jeunesse édités par des sociétés concurrentes, alors que ses statuts précisent qu’elle est une association éducative et culturelle, destinée à promouvoir la littérature de jeunesse, et notamment la Collection “signe de piste”
- en éditant un site web (www.amis-signe-de-piste.com) faisant largement usage de la marque « signe de piste »
- en éditant un bulletin intitulé « signe de piste ».
Pour la Cour d’Appel de Paris la reproduction des éléments caractéristiques de la marque pour désigner des produits identiques ou à tout le moins similaires porte atteinte à la
« fonction essentielle de la marque qui est de garantir aux lecteurs que les documents qu’elle édite et qui portent la marque « signe de piste » proviennent exclusivement de la société Delahaye ».
Ainsi, en dépit de l’utilisation du vocable « Les Amis du », il existe un risque de confusion du fait de l’imitation de la marque « signe de piste » qui constitue l’élément essentiel, déterminant et significatif du signe litigieux.
En outre, si l’utilisation à titre d’information de la marque « signe de piste » n’est pas répréhensible, compte tenu de l’objet social de l’association, l’usage différent de celui auquel elle était originellement destinée compromet la garantie d’origine.
Dès lors, en reproduisant la marque « signe de piste », appartenant à une société tiers, l’association contrefait la marque « Signe de piste ».