Actualités de la propriété intellectuelle : janvier- mars 2013

Marques

Le Lion d’Apple plus fort que le Lion de Circus

CA de PARIS, 12 septembre 2012, n° 11/18479 SARL CIRCUS / APPLE INC Si la bataille des brevets avec Samsung a temporairement été suspendue (voir nos  actualités ici et  ici), une victoire camouflée de défaite a vu protagoniste Apple sur le versant marques. La Cour d’Appel de Paris le 12 septembre dernier, a en effet condamné en référé le géant de Cupertino pour contrefaçon de la marque verbale « Lion ». Celle-ci avait été préalablement déposée en 2010 par Circus, une société française d’édition de logiciels, pour désigner notamment des programmes informatiques. Par ailleurs, le dépôt de cette marque s’inscrivait dans le cadre d’une offre de logiciels désignés par des noms d’animaux (Lion, Elephant, Monkey), justifiant ainsi le nom même de la société. A la suite du dépôt, en avril 2011, d’une marque éponyme visant des produits et des services identiques (il s’agissait de la dénomination du nouveau système d’exploitation des ordinateurs MAC), Circus a intenté une action en contrefaçon en référé devant le TGI de Paris une a obtenu gain de cause de son. Le Tribunal n’a cependant pas prévu de limitations quant à son exploitation. Insatisfaite, Circus a fait appel. La Cour a alors aggravé la condamnation à l’encontre de la société américaine, frappée cette fois-ci d’une amende de 50.000 euros en réparation du préjudice subi par Circus (au lieu de 1.500 en première instance), auxquels s’ajoutent 50.000 euros au titre de l’article 700 du CPC. A signaler, quelques événements pour le moins surprenants dans cette procédure. C’est le cas du rachat, à la veille de l’audience de plaidoiries, d’une marque internationale semi-figurative déposée en 2002 pour des logiciels, propriété d’une société allemande. Celle-ci, constituée d’une empreinte de patte et de l’élément verbal « LION », aurait été acquise par Apple, par l’entremise d’une société « écran », dans l’esprit de démontrer un usage consolidé d’un signe portant sur la dénomination du félin. La Cour n’a évidemment pas apprécié la plaisanterie et a jugé que « l’acquisition d’une marque, en cours d’instance, dans le seul but de faire échec à l’action en contrefaçon engagée caractérise une riposte frauduleuse ». Pourquoi une victoire cachée de Apple? Et bien, si la Cour, tout comme le TGI, a considéré que la société américaine avait commis un acte de contrefaçon de marque au sens de l’article L. 713-2 du CPI, et porté atteinte aux droits de Circus, elle n’a pas retenu d’interdire à Apple l’usage de la dénomination « Lion ». Les juges ont effectué une estimation des intérêts en jeu et ont considéré que prohiber l’usage de la marque, alors même que Circus n’en avait pas encore démarré l’exploitation, aurait eu des effets démesurés sur l’activité d’Apple, ce qui aurait été en contradiction avec le principe de proportionnalité des mesures provisoires. Il reste à savoir ce qu’il en sera de l’utilisation du signe par Circus, qui reste bien entendu parfaitement valable. En revanche, pas le moindre doute sur quel des deux lions sera le roi de la jungle du marché.

La Cassation confirme « Y’A PAS PHOTO ! »

COUR DE CASSATION, 25 septembre 2012, LEA INSTITUT VITAL, GROUPE LEA NATURE et NATURENVIE c LA PHOTOTHEQUE Les juges de la Cassation ont statué sur l’affaire des photos commercialisées par La Phototheque ayant comme sujet des emballages de produits où figurent les marques des sociétés du groupe Léa nature. Tout comme la Cour d’Appel de Poitiers, la Cassation a exclu que la vente des photographies incriminées configurait des actes de contrefaçon par reproduction ou usage des marques de Léa, car les signes repris dans les clichés ne sont nullement utilisés pour designer des produits identiques ou similaires à ceux désignés par l’enregistrement. Les marques du groupe Léa Nature en effet sont enregistrées pour désigner des produits ayant un lien avec l’alimentation et la diététique tandis que […] les emballages des produits comportant ces marques sont reproduits sur des photographies commercialisées par la société La Photothèque qui gère un service de vente ou de location de photographies.  A exclure aussi tout acte de concurrence déloyale l’arrêt relève encore que les photos n’étaient pas référencées sous les marques des sociétés du groupe Léa nature et donc qu’il n’est pas possible d’avoir accès aux sites de la société La Photothèque en entrant dans un moteur de recherche les marques du groupe Léa nature.

Concurrence déloyale

Coup de « Point » sur le comportement parasitaire de la société éditrice du site www.jeanmarcmorandini.com CA de Paris, Pôle 5, chambre 2, 9 novembre 2012 « La simple reprise d’articles de presse et de brèves générant des recettes publicitaires sans investissement intellectuel ni engagement financier sont susceptibles d’être qualifiés d’actes de parasitisme » La société d’exploitation de l’hebdomadaire Le Point (SEBDO) qui édite le magazine Le Point ainsi que le site internet www.lepoint.fr a assigné le 3 novembre 2009, M. Jean-Marc Morandini ainsi que l’éditeur de son site (The Web Family) devant le TGI de Paris en contrefaçon de droits d’auteur et de marques ainsi que sur le fondement de la concurrence déloyale. Aux termes d’un jugement du 28 octobre 2011, le Tribunal a décidé que les défendeurs, bénéficiant de l’exception de revue de presse, n’ont pas commis d’actes de contrefaçon des droits d’auteurs de la société SEBDO. Il a également rejeté les demandes formées par la Société SEBDO au titre de la concurrence déloyale et parasitaire. La société SEBDO a interjeté appel le 30 décembre 2011. Concernant la protection des articles et brèves repris par les défendeurs, la Cour a considéré que ces textes ne sauraient témoigner d’un véritable effort créatif et être considérés comme porteurs de la personnalité de leur auteur. La protection de ces textes au regard du droit d’auteur a donc été rejetée. La demande de la société SEBDO fondée sur la contrefaçon des marques LE POINT a également été rejetée par la Cour d’appel de Paris au motif que l’usage de ces marques par la société The Web Family n’avait été effectué que dans l’unique but de citer la source des publications et de respecter ainsi les dispositions de l’article L.122-5, 3° du Code de la Propriété Intellectuelle. La Cour a, cependant, retenu les faits de concurrence déloyale à l’encontre de la société The Web Family qui a adopté « un comportement parasitaire lui permettant de tirer profit des efforts du journal Le Point et de son site Internet, en imitant son produit avec suffisamment de différences pour éviter le plagiat, notamment en modifiant les titres des brèves et articles repris, tendant ainsi à s’approprier illégitimement une notoriété préexistante sans développer d’efforts intellectuels de recherches et d’études et sans les engagements financiers qui lui sont normalement liés ». La Cour poursuit et retient qu’en « détournant ainsi délibérément des recettes auxquelles la société SEBDO aurait pu légitimement prétendre, la société The Web Family a commis une faute génératrice pour cette société d’un préjudice économique certain ». A cet égard, la société The Web Family a été condamnée à payer à la société SEBDO la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Dessins et modèles

Quel modèle pour être au goût du jour ?

CA de Paris, 19 septembre 2012, RG 2010/23477 Dans le cadre d’une action en contrefaçon et en concurrence déloyale, la Cour d’appel de Paris a eu l’occasion de préciser les conditions de validité des modèles. La société Pavoni Italia agit à l’encontre de la société Déco Relief en contrefaçon des modèles communautaires de moules à pâtisserie suivants : modele1modele2 Le premier modèle a été déclaré nul par la Cour aux motifs qu’il ne répondait pas  à la définition du droit communautaire dans la mesure où les caractéristiques de sa forme, et donc l’étendue de la protection, n’étaient pas suffisamment définies. La Cour fonde sa décision sur le fait qu’ : «aucune de ces représentations ne présente la forme en relief du moule permettant de voir comme sur [la brochure représentant le modèle prétendument contrefaisant] une structure de forme pyramidale cylindrique en spirale […] ;  le dessin à plat déposé et la photographie de la plaque ne s’avèrent aptes à représenter visuellement cette forme tridimensionnelle particulière du moule, parfaitement représentée sur le dessin et la photographie « Babele » apposés sur la brochure précitée, aux côtés d’un dessin à plat de la plaque en permettant le moulage en plusieurs » En revanche, les seconds modèles ont été reconnus comme valides dès lors qu’ils « présentent tous un dessin géométrique en trois dimensions permettant incontestablement, nonobstant sa qualité, d’appréhender visuellement l’apparence de chacun des modèles concernés et les caractéristiques de forme à protéger, étant relevé que la brochure précitée, qui donne à voir la forme du produit fini aux côtés du dessin tel que protégé, démontre que celui-ci correspond visiblement au produit fini ; Qu’il importe peu que les plaques permettant la réalisation de plusieurs éléments moulés de formes identiques ne soit pas représentées dans les dépôts de modèles de moules, la protection étant recherchée pour ces derniers et non pour les plaques banalement de forme rectangulaire permettant la réalisation dans un même laps de temps de plusieurs moulages identiques ». Le dépôt de modèles doit ainsi répondre à des critères stricts de précision quant à sa forme et à la représentation des caractéristiques revendiquées. La question de la nouveauté des modèles est également traitée dans la décision qui considère que les modèles « ne se résument manifestement pas à des formes classiques de bûchettes, cubes, demi sphères ou pyramides, et leur caractère propre n’apparaît sérieusement dénié ». La motivation de la Cour est plus contestable sur ce point dans la mesure où les formes de certains des modèles semblent des formes habituellement utilisées dans le domaine de la pâtisserie. Il est par ailleurs intéressant de noter que la contrefaçon de ces modèles est caractérisée malgré les différences entre les produits créées par la présence de trous sur les moules de la société DECO RELIEF dès lors que : « Que ces ajouts ne modifient pas l’aspect global produit par chacun des modèles invoqués et l’utilisateur averti, habitué des moules ou aliments moulés (les moules en cause ayant la même destination et relevant du domaine de la pâtisserie professionnelle), ne retiendra que la similitude d’ensemble des formes sans avoir visuellement d’impression globale différente ».

Noms de domaines

L’AFNIC a bien fait de rester dans son domaine de compétence

CA de Paris, 19 octobre 2012, 09/20514 L’Afnic et l’un de ses bureaux d’enregistrement (EuroDNS) ont été assignés par treize sociétés françaises (Air France, L’Oréal, France Télévision, etc.)  au titre de l’enregistrement de 129 noms de domaine en fraude de leurs droits. Ces sociétés reprochaient à l’Office d’enregistrement: – d’avoir permis l’enregistrement de ces noms de domaine constituant notamment des actes de typosquatting (exemple : francr3.fr) – de ne pas avoir procédé au gel ou au blocage des noms de domaine sur simple signification de l’assignation ; – d’avoir ouvert aux personnes physiques la possibilité de réserver anonymement un nom de domaine en .fr. La Cour d’appel relève que l’article L. 45 du Code des postes et des communicatio nns électroniques « ne fait pas obligation [à l’Afnic] de procéder au gel ou de blocage de noms de domaine et, d’une manière générale, de prendre des mesures conservatoires en situation précontentieuse ou contentieuse pas plus qu’elle ne lui en octroie le droit« . En conséquence, aucun contrôle a priori  ne doit être exercé par l’Office d’enregistrement ou le bureau d’enregistrement, à l’instar de l’INPI en matière de marques. La Cour a également considéré que le principe de la liberté du commerce s’oppose à ce contrôle dès lors notamment que le caractère de renommée des marques antérieures est difficilement appréciable. Enfin, concernant l’anonymat des données Whois, la responsabilité de l’Afnic est également écartée et la procédure d’anonymisation validée par la cour d’appel de Paris. L’arrêt du 19 octobre 2012 de la cour d’appel de Paris a donc confirmé le jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris du 26 août 2009 en toutes ses dispositions.