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QUAND LE DROIT D’AUTEUR INTERFERE AVEC LA POLITIQUE

Dans un arrêt remarqué en date du 5 juillet 2023[1], la Cour d’appel de Paris considère que la reproduction et la représentation d’une fresque de street art par un parti politique, sans l’autorisation ni mention du nom de son auteur, sont constitutives d’une atteinte aux droits patrimoniaux mais également aux droits moraux de l’auteur. En […]
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Dans un arrêt remarqué en date du 5 juillet 2023[1], la Cour d’appel de Paris considère que la reproduction et la représentation d’une fresque de street art par un parti politique, sans l’autorisation ni mention du nom de son auteur, sont constitutives d’une atteinte aux droits patrimoniaux mais également aux droits moraux de l’auteur.

En l’espèce, l’affaire opposait un street artist français réalisant des fresques urbaines, au parti politique de la France Insoumise et son fondateur, Jean-Luc MELENCHON.

L’artiste avait en effet découvert que l’une de ses fresques, intitulée « La Marianne asiatique », était utilisée et diffusée à des fins politiques sans son autorisation ni mention de son nom, dans trois vidéos de campagne. Il avait dès lors assigné le parti et son candidat en contrefaçon de son droit moral et de ses droits patrimoniaux.

En réaction, le parti politique faisait valoir deux exceptions au monopole de l’auteur : celles de courtes citations et de liberté de panorama.

Le tribunal judiciaire de Paris avait rendu une décision contrastée[2] pour les intérêts du street artist. Si le tribunal soulignait que l’œuvre était originale et susceptible d’être protégée par le droit d’auteur, il retenait l’application des exceptions en excluant toute atteinte aux droits patrimoniaux de l’auteur. Il ajoutait qu’aucune atteinte au droit moral n’était caractérisée. Les juges l’expliquaient par la nature propre aux œuvres de street art : celles-ci étant réalisées sans autorisation sur la voie publique et étant par nature susceptibles de subir des atteintes à leur intégrité et paternité.

C’est sur ce point précis que l’arrêt de la Cour d’appel se différencie du jugement de première instance en rendant une solution bien plus favorable à l’auteur de la fresque.

La Cour confirme, tout d’abord, que « ni la titularité des droits (…), ni l’originalité de l’œuvre revendiquée ne sont contestées » dans l’affaire. Cette affirmation, aussi anodine soit-elle, est essentielle puisque la jurisprudence se fait rare voire est inexistante sur l’originalité des œuvres de street art.

Ensuite, sur les atteintes aux droits patrimoniaux, la Cour écarte avec vigueur le jeu des exceptions soulevées par le parti politique et rappelle la nécessité d’interpréter strictement ces dernières.

S’agissant de l’exception de panorama[3], elle retient que les conditions ne sont pas remplies : la fresque de street art ne pouvant être assimilée à une œuvre architecturale ou sculpturale, celle-ci n’étant pas placée en permanence sur la voie publique car soumise aux aléas extérieurs …

Quant à l’exception de courtes citations[4], la Cour raisonne plus simplement : l’absence de citation du nom de l’artiste et de la source de la fresque dans les diffusions incriminée « suffit à écarter le bénéfice de l’exception ». La Cour souligne, non sans une certaine sévérité, que le parti et son candidat auraient dû procéder à des recherches simples et nécessaires pour identifier l’auteur de l’œuvre, malgré le fait qu’il ne figurait pas sur l’œuvre.

En outre, s’agissant de l’atteinte au droit moral de l’auteur, la Cour retient une atteinte au droit à la paternité et à l’intégrité de l’œuvre.

Sur la paternité de l’œuvre, la Cour rappelle que le nom de l’auteur avait été effacé et remplacé par un autre mais prend le soin de préciser que cela n’est en rien imputable au parti et à son représentant.  Toutefois, elle affirme que ces derniers « auraient dû rechercher l’auteur de l’œuvre afin d’obtenir son autorisation ».  Or, elle souligne qu’aucune recherche n’avait été effectuée.

Quant à l’intégrité physique de l’œuvre, la Cour souligne qu’elle est doublement constituée. D’une part, par l’appropriation illégitime de l’œuvre par la France Insoumise et l’ajout de divers éléments (signe LFI, intégration dans un support audiovisuel …). D’autre part, par une atteinte à l’intégrité spirituelle de l’œuvre qui laissait à penser que l’auteur soutenait le parti politique en question.

Enfin, sur le volet indemnitaire, la Cour conclut que la reproduction et la représentation d’une œuvre sans autorisation de son auteur, au soutien d’un parti politique, constituent une atteinte grave à son droit moral. En dépit de cette phrase forte, la réparation du préjudice fixé par la Cour se montre largement en deçà des demandes indemnitaires de l’auteur.

Quoi qu’il en soit, l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris est fondamental et présente l’intérêt d’affirmer sans ambiguïté que les œuvres de street art sont susceptibles d’être protégées par le droit d’auteur malgré leur caractère évolutif et éphémère.

Affaire à suivre …


[1] Cour d’appel de Paris (pôle 5, 1re ch.), 5 juill. 2023, n° 21/11317

[2] Tribunal judiciaire de Paris (3e ch. – 1re sect.), 21 janv. 2021, n° 20-08482

[3] Art. L.122-5, 11°, CPI

[4] Art. L.122-5, 3°, a) CPI

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