L’intérêt de cette question d’indépendance du tiers dans les constats d’huissier réalisés à l’occasion de contentieux en matière de contrefaçon, nous conduira à l’analyser en deux temps : Ainsi nous aborderons la position des juges à l’égard des constats d’huissier établis lors des saisies contrefaçon à l’occasion de notre prochaine newsletter.
La Cour d’Appel de Paris, par un arrêt du 6 avril 2022, a remis en lumière l’intéressante et épineuse question de la validité d’un constat d’achat en matière de contrefaçon de droits de propriété intellectuelle.
Cette décision est l’occasion d’analyser l’évolution des dernières positions jurisprudentielles statuant sur la validité des constats d’achat-contrefaçon.
Dans le cadre d’un contentieux, les constats d’huissier de justice (désormais « commissaires de justice » ) sont des moyens de preuves « parfaites » fortement appréciés des justiciables en ce qu’elles « font foi sauf preuve contraire ».[1] Le recours à cet outil probant très performant ne fait pas exception dans les contentieux en matière de contrefaçon de droit de propriété intellectuelle. Ainsi, le Code de la Propriété Intellectuelle, harmonisé par des textes européens[2] et nationaux[3], prévoit que toute atteinte portée à un droit de propriété intellectuelle, peu importe sa nature, « se prouve par tous moyen »[4].
Ce fréquent recours aux constats d’achat conduit les tribunaux à examiner de près leur validité.
L’exigence de neutralité et d’impartialité de l’huissier de justice implique en pratique qu’il soit assisté d’un tiers acheteur pour la constatation d’achat d’une marchandise arguée de contrefaçon.
Par une décision en date du 6 juillet 2000[5], les juges de la première chambre civile de la Cour de cassation imposent que ce tiers soit indépendant. Toutefois, jusqu’en 2017, un flou demeurait quant à la notion d’indépendance, pourtant primordiale, en ce qu’elle est commandée par l’article 6 de La Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) consacrant le droit à un procès équitable et le respect du droit de la défense [6].
Cette exigence d’indépendance du tiers est dictée une présomption de loyauté dans l’administration de la preuve, administration qui garantirait le respect du droit conventionnel à un procès équitable.
C’est ainsi que dans un arrêt du 25 janvier 2017, la première chambre civile de la Cour de cassation a retenu l’absence d’indépendance du tiers dans le cadre d’un constat d’achat dès lors qu’il revêtait la qualité de stagiaire du cabinet mandaté par la partie requérante à l’action en contrefaçon. Pour la Cour de cassation, la seule qualité de stagiaire du cabinet d’avocat du tiers-acheteur suffit à caractériser la déloyauté dans l’administration de la preuve.
Contrairement à ce qui avait été retenu par les juges du fond[7], la Cour de cassation estime qu’il n’est pas nécessaire de démontrer l’existence d’un stratagème déloyal par le tiers ou la société requérante pour retenir le caractère déloyal de la preuve.
Cette solution qui caractérise un certain durcissement dans l’établissement de la preuve en matière de constat d’achat en matière de contrefaçon, ne fait pas l’unanimité auprès des juges du fond.
L’arrêt rendu le 6 avril 2022 en est un exemple intéressant[8]. En effet, la Cour d’appel de Paris a d’abord retenu qu’aucun stratagème n’avait été mis en place par la société requérante, par l’huissier et par le tiers acheteur et a dès lors considéré que la seule qualité de stagiaire du cabinet d’avocats de la requérante du tiers acheteur n’affecte pas le caractère objectif des constatations mentionnées au procès-verbal et ne fait pas présumer une déloyauté dans l’administration de la preuve.
En opposition avec la décision de la Cour de cassation, les juges n’ont pas annulé le procès-verbal de constat d’achat pour le seul motif que le tiers acheteur, stagiaire du cabinet d’avocats mandaté par la requérante, n’aurait, en cela, pas présenté les garanties d’indépendance requises.
Notons que dans cette affaire, en fondant son argumentation sur le considérant 20 et l’article 3 de la directive (CE) n° 2004/48 du 29 avril 2004[9], la Cour d’Appel de Paris a veillé à mettre en balance deux droits fondamentaux, conformément au principe de proportionnalité. Elle a concilié en l’occurrence, l’exigence d’une administration loyale de la preuve imposée par la Cour Européenne des droits de l’Homme avec la nécessité d’établir des preuves efficaces des atteintes portées aux droits de propriété intellectuelle pour en assurer leur protection effective.
Cette nouvelle décision de la Cour d’appel de Paris nous rappelle l’absence d’homogénéisation des décisions jurisprudentielles en matière de validité des constats d’achat, qui est source d’insécurité juridique pour les titulaires de droits. Cela implique pour ces derniers une grande prudence dans le choix du tiers acheteur, au risque d’être dans l’impossibilité d’apporter, par le constat d’achat, la preuve d’une atteinte à leurs droits de propriété intellectuelle.
[1] Ancien article premier alinéa deuxième de l’Ordonnance° 45-2592 modifiée par l’article 2 de la loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010 dite loi « Béteille » puis abrogée par l’Ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016.
[2] Directive 2004/48 du 29 avril 2004 transposée en droit français par la loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon.
[3] Loi n° 2014-315 du 11 mars 2014.
[4] Voir notamment Art. L615-5 CPI.
[5] Cass.1ère civ. 6 juillet 2000.n° 97-21404, publié au bulletin.
[6] Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 25 janvier 2017, 15-25.210, Publié au bulletin.
[7] Cour d’Appel de Paris, 5, 1, 02-06-2015, n° 14/03083, Confirmation.
[8] Pour un autre exemple : Cour d’appel de Paris – Pôle 05 ch. 02 28 février 2020 / n° 18/03683.
[9] DIRECTIVE 2004/48/CE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle